Chroniques

par monique parmentier

Hercule mourant, tragédie lyrique d’Antoine Dauvergne
version de concert dirigée par Christophe Rousset

Opéra Royal, Château de Versailles
- 19 novembre 2011
le claveciniste et chef français Christophe Rousset joue Dauvergne à Versailles
© dr

Pour conclure ses Journées Antoine Dauvergne, le CMBV a choisi une tragédie lyrique afin de faire redécouvrir ce musicien tombé dans l’oubli, d’autant que ni Les troqueurs, opéra bouffon, seule œuvre parvenue jusqu’à nous [lire notre chronique du 28 novembre 2009], ni La Vénitienne, comédie lyrique recréée dernièrement [lire notre chronique du 8 novembre 2011] n’ont su persuader que cet oubli ne fût pas imputable à faiblesse de sa musique.

Cette nouvelle facette de Dauvergne transforme-t-elle notre regard sur ce dernier ? Sans doute pas autant que ne le souhaitait le Centre. Ceci est en grande partie dû à la pauvreté d’un livret extrêmement touffu, sans grandes pages qui solliciteraient de l’intérêt pour des personnages ou des situations dramatiques et des affects forts, plutôt qu’à celle de la musique qui, pour le coup, se révèle des plus agréables. Car le livret de Jean-François Marmontel ne brille certes pas par la richesse des sentiments et des situations. Hercule, le grand héros antique, n’y est pas encore un demi-dieu. Marié à Déjanire, il est amoureux d’une jeune esclave, Iole, qu’aime également son fils. L’épouse blessée tombant sous la coupe de la Jalousie, empoisonne son mari dans un accès de démence, puis, reprenant conscience en apprenant la mort de son époux, se suicide. Avant de mourir, Hercule, dans un geste de grande magnanimité, cède Iole à son fils. Son corps une fois consumé, le voici demi-dieu.

Rien de tragique, donc, plutôt pathétique. Il n’est qu’à voir comment Hercule renonce si facilement à la jeune esclave, sans même mettre en péril sa relation avec son fils, ou la manière dont Déjanire choisit la mort pour se punir, plus victime que bourreau, ne devenant jamais aussi maléfique que Médée. Quant à la mort d’Hercule, elle apparaît plus glorieuse et narcissique que tragique, puisqu’elle le fait demi-dieu, sans regret pour sa femme ni son fils, ni la jeune esclave, seule semblant compter à ses yeux l’immortalité.

La partition de Dauvergne offre-t-elle de beaux moments ? Oui, tout particulièrement dans les nombreuses suites de danses qui sollicitent la virtuosité de l’orchestre, viennent s’intercaler entre de nombreux et beaux récitatifs et quelques airs sans grande envolée lyrique. Trois heures de musique que le talent des musiciens permit de suivre avec un réel intérêt. La direction subtile et élégante de Christophe Rousset [photo] entraîne à la suite de cette musique d’un monde qui se cherche, expérimente, et qui, entre Lully et Rameau, se trouve à la croisée des chemins, en un mélange des styles, en « quête du sublime auquel aspiraient tous les artistes et penseurs du XVIIIe siècle » comme le souligne Benoît Dratwicki dans son livre sur Dauvergne (Éditions Mardaga). Le mérite de Christophe Rousset et des Talens Lyriques est de lui redonner des couleurs et des nuances plus affirmées, dépassant ainsi ce « demi-caractère » ennuyeux en faisant passer une belle soirée. Tous les pupitres sont à louer. On retiendra tout particulièrement l’expressif pupitre de cordes, dramatique et sensible, mais également les flûtes tendres et généreuses, ainsi que les magnifiques cors et trompettes au brillant glorieux.

Le plateau vocal réuni pour cette occasion unique est d’exception. Il n’est qu’à entendre Romain Champion dans le petit rôle du Grand Prêtre de Jupiter qui attire notre attention. Son timbre de velours, son phrasé séduisant et sa présence héroïque, déjà remarqués dans l’Atys (Lully) d’Hugo Reyne [lire notre chronique du 11 août 2009], créent un moment de magie d’une grande intensité. En Déjanire, Véronique Gens s’affirme une fois de plus grande tragédienne. Dans le rôle de son fils Hilus, l’incontournable Emiliano Gonzalez Toro, qui désormais figure dans presque toutes les productions des Talens Lyriques, déçoit légèrement, malgré la qualité de son chant, par un certain manque d’élégance scénique. Dans le rôle d’Hercule, l’idéal Andrew Foster-Williams une voix robuste au héros pathétique. Enfin, Julie Fuchs est une émouvante Iole. Le reste de la distribution se confirme parfaitement à sa place. Surtout le chœur, Les Chantres du Centre de Musique Baroque de Versailles, qui attendrit et interpelle avec une réelle force dramatique.

Hercule mourantest avant tout la démonstration de la réussite du travail patrimonial du CMBV. Ce n’est certes pas un grand titre pour amateur d’art lyrique, mais une belle œuvre, capable d’émouvoir dans de brefs instants d’une fulgurante beauté. France Musique et le label Aparthé ont procédé à l’enregistrement : ainsi une trace sera-t-elle laissée à tous de la plus belle œuvre d’Antoine Dauvergne désormais redécouverte.

MP