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Chroniques
Händel et décibels
Hervé Niquet dirige son Concert Spirituel
Afin de souhaiter à son propre ensemble un joyeux anniversaire (le Concert Spirituel comptait alors quinze printemps), Hervé Niquet avait choisi de donner deux des œuvres les plus célèbres de Georg Friedrich Händel. Pour ce faire, il appuyait son travail sur des recherches musicologiques qui l’invitèrent à considérer différemment que de coutume des partitions originalement destinées à des exécutions de plein-air, convoquant un copieux effectif instrumental.
Jonathan Keates nous rappelle que la Music for the Royal Fireworks accompagna « le magnifique spectacle pyrotechnique organisé dans Green Park pour célébrer la paix d’Aix-la-Chapelle, signée avec la France en octobre de l’année précédente » (1749). Citant le baron Kielmansegg qui organisa pour George I d’Angleterre, premier monarque d’une dynastie qui règnerait en Albion de 1714 à 1901 (mort de Victoria), une fête musicale sur la Tamise en 1717, Keates précise : « le roi était grand amateur des mascarades d’hiver, divertissements nouveaux bien qu’un peu louches, qui alternaient durant la saison avec des soirées d’opéra. Il eut alors l’idée de le charger d’organiser un concert nautique estival […]. Le baron entreprit alors de mettre lui-même sur pied ce divertissement ; c’est ainsi qu’à huit heures du soir, le roi « s’embarqua à Whitehall sur une grande barge ouverte », accompagné de tout un sérail de dames, et remonta la rivière en direction de Chelsea, suivi d’une seconde barge « où cinquante instruments de toutes sortes jouèrent, pendant tout le trajet depuis Lambeth, les plus plaisantes symphonies composées expressément pour cette occasion par M. Händel. Elles plurent tellement à Sa Majesté qu’on les joua par trois fois, à l’aller comme au retour. À onze heures, Sa Majesté débarqua à Chelsea où un souper était préparé et, là encore, on donna un concert fort plaisant qui se termina à deux heures. Après cela, Sa Majesté regagna sa barge et revint par le même chemin, la musique continuant à jouer jusqu’à ce qu’Elle eût de nouveau mis pied à terre ».
Convoquer une quarantaine de cordes et pléthore de cors, de trompettes, de bassons et contrebassons paraîtra, de prime abord, une idée parfaitement justifiable, après avoir lu ces quelques lignes. De fait, une grande pompe est au rendez-vous, dont l’éclat saisit immédiatement. La robustesse parfois « mal léchée » des cuivres et des bois démarque largement cette interprétation. L’on entend rarement une prouesse technique d’un tel niveau, il faut le dire.
Toutefois, l’absence générale de nuance, « à-tue-tête » systématique, ne s’attache qu’à un seul aspect de ces œuvres. Il arrive assez régulièrement que l’exécution baroque, revendiquant à juste titre l’authenticité, se fourvoie quant au lieu où elle opère ; rappelons-nous, par exemple, la mise en scène scrupuleusement reconstitutive de Gilbert Blin pour le Teseo de Händel… sur la scène dix-neuviémiste de l’Opéra de Nice [lire notre chronique du 20 mars 2007] ! Cet après-midi, Hervé Niquet oublie que son auditoire n’est pas installé sur le parvis mais bel et bien dans l’Abbatiale dont il ébranle les arcs sous les décibels. Dommage.
BB