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Chroniques
Georg Friedrich Händel | Alcina (version de concert)
Christophe Rousset et Les Talens Lyriques
Après avoir fêté Vivaldi l’été dernier [lire nos chroniques du 26 juin 2011, du 1er juillet, du 2, du 9 et du 15 juillet 2011], c’est le Caro Sassone Georg Friedrich Händel que célèbre ce printemps le Château de Versailles, l’occasion rêvée de retrouver les grands oratorios Saul, The Messiah, Israel in Egypt et Solomon, quelques pages instrumentales essentielles de la production händeliennes (Royal Fireworks Music, Water Music, etc.) et cinq opéras donnés en version de concert, qui alternent avec des récitals courus, puisqu’ils affichent Max Emanuel Cencic et Cecilia Bartoli. Ouvert vendredi dernier par Richard Egarr à la tête de l’Academy of Ancient Music, ce festival intitulé Le triomphe de Händel (du 8 juin au 13 juillet) se poursuit cette semaine avec trois grandes partitions lyriques. Après Alan Curtis qui le fit hier de l’Orlando de 1733 et Ottavio Dantone qui le fera jeudi du Guilio Cesare in Egitto de 1724, c’est l’Alcina de 1735 que Christophe Rousset fait sonner ce soir.
De fait, le claveciniste et chef français est un fidèle de l’oeuvre qu’il a maintes fois dirigée ici et là. Outre la contribution montpelliéraine relativement sabotée par une mise en scène de Marelli (2003) et celle, magnifique, vue à Drottningholm quelques mois plus tard, que signait Pierre Audi, rappelons qu’Alcina fit l’objet de nombreuses prestations concertantes à l’actif des Talens Lyriques, avec des distributions sans cesse renouvellées. Aussi Rousset engage-t-il le plus naturellement qui soit une exécution remarquablement « électrique », marquée dès la Sinfonia introductive d’une urgence qui pulvérise la pulsation, par-delà sa tonicité même. Cette inflexion dramatique ne fléchira pas de toute la soirée, jusqu’en ses attendrissements attendus pour certaines arie célébrissimes en lamento. Il livre donc une interprétation d’une saine théâtralité, bondissant de contrastes en ruptures, tout cela dans le plus grand soin de la réalisation musicale, toujours de haute tenue. S’il faut en applaudir les tutti déterminants, encore ne sera-ce pas sans saluer quelques graces solistiques dont la basse d’Ophélie Gaillard, le hautbois de Gilles Vanssons et le basson d’Eyal Streett ne sont pas des moindres.
Les choix de distribution s’affirment idéaux dans la caractérisation de chaque rôle. Passant vite sur ceux d’Oberto et de Morgana qui, pour affirmer des timbres en bonne adéquation, n’en accuse pas moins quelques faiblesses dans le chant, concentrons-nous sur les cinq autres protagonistes de l’opéra. Le baryton Olivier Lallouette campe un solide Melisso, fermement projeté, en pleine conscience de son importance à la fois sur le plan du drame et sur celui de l’équilibre des registres vocaux. De même apprécie-t-on la clarté d’Emiliano Gonzalez Toro qui prête au jaloux Oronte une couleur tour à tour belliqueuse et tendre dont il use avec un art sensible. Nous retrouvons Delphine Galou en ce même personnage de Bradamante qui fit nos délices il y a quelques mois, à Lausanne [lire notre chronique du 24 février 2012] ; au concert, la richesse de cette voix se révèle plus encore qu’à la scène. Si l’on pourra reprocher au soprano Karina Gauvin d’économiser des moyens qu’elle possède pourtant grands lors des premiers airs, voire de les ornementer assez froidement, son Ombre palide, à la fin de l’Acte II, et tous les moments qui suivront au III, séduisent et bouleversent au delà du dicible. Elle impose une incarnation passionnante qui n’attendait qu’à pouvoir sortir de ses gonds, convoquant une impressionnante maîtrise technique.
Plus encore, c’est au Ruggiero fascinant d’Ann Hallenberg que notre écoute s’est attachée. Depuis la première fois où il nous fut donné de l’entendre – c’était au Händel Festspiele de Halle, en 2002, dans Ariana in Creta –, le mezzo suédois jamais n’a déçu, affinant au fil de ses apparitions un chant d’une subtilité qui laisse pantois. Non seulement l’ornementation séduit, mais encore le fait-elle dans une conception scrupuleusement expressive, toujours fruit d’une indéniable intimité avec musique et texte. Et c’est avec son timbre chaleureux et le souvenir d’une vocalité infiniment travaillée, qui cependant paraît paradoxalement « naturelle », que nous quittons l’Opéra Royal.
BB