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Chroniques
Franco Fagioli chante Händel
Zefira Valova dirige Il Pomo d’Oro
Chaque venue du contreténor Franco Fagioli a beau faire figure d’événement, ces dernières années [lire nos chroniques du 6 décembre 2014 et du 10 janvier 2013], ce n’est pas pour autant que l’Opéra Confluence fait le plein ce soir. Les présents salueront tout de même très chaleureusement cet artiste hors normes, à l’issue d’une soirée au profit de l’association humanitaire Partage dans le monde, qui aide les populations les plus démunies du Népal. Prenant place au sein d’une tournée (entre le Théâtre des Champs-Élysées le 12 décembre et Montpellier le 20 janvier), le concert avignonnais fait suite à la sortie de la nouvelle parution discographique Händel arias (Deutsche Grammophon). Comme dans l’enregistrement de studio, le chanteur est accompagné par Il Pomo d’oro, ensemble placé sous la direction du premier violon Zefira Valova, avec certains passages absents du CD.
Le programme démarre par l’Allegro de la Sinfonia en si bémol majeur HWV 338 d’Händel où l’on entend une belle qualité de son, des musiciens visiblement bien rodés après les concerts successifs, du relief, du ressort dans la musique, mais sans plus, pas de contrastes audacieux ni de petits coups de folie. Fagioli entre en scène après les premières mesures de Presti omai (Giulio Cesare in Egitto), l’air faisant d’une certaine manière office de tour de chauffe à la fois pour le chanteur et l’auditeur, celui-ci devant adapter son oreille à la configuration acoustique. La fosse d’orchestre est, en effet, intercalée entre la scène et le public, reléguant ainsi les artistes à bonne distance, dans une balance de volume défavorable à la voix. Dès le deuxième air, la douce cantilène Se potessero i sospir miei (Imeneo), où Tirinto pleure la perte de sa bien-aimée Rosmene – perte supposée et temporaire puisque le happy end de l’ouvrage prévoit le mariage des deux ! –, tout l’art du contreténor est là : magnifique conduite élégiaque sur le souffle, délicatesse du phrasé, des changements naturels de registres entre vrais graves et suraigus. S’enchaîne Agitato da fiere tempeste (Oreste), justement un air furieusement agitato, une partition remplie de fioritures, demandant une agilité, une souplesse vocale hors du commun. La bravoure à toute épreuve de Fagioli ne tourne cependant jamais au vain exercice ni à la mécanique répétitive. Sa maîtrise technique l’autorise à interpréter les sentiments, à varier constamment les notes, les sons, les nuances, simplement en jetant un petit coup d’œil furtif à la partition de temps à autre.
Le long passage orchestral qui suit, la Sonata a quattro en sol majeur Op.5 n°4, montre par endroits les limites de certains solistes dans les traits d’agilité requis. Les musiciens (treize cordes, deux vents et clavecin) savent toutefois s’écouter les uns les autres, laissant en particulier une place appréciable au clavecin, la formation constituant un formidable accompagnement du chanteur tout du long. Les deux airs de Rinaldo qui concluent la première partie montrent à nouveau les deux facettes techniques et interprétatives du chanteur, en commençant par Cara sposa, lamento chanté tout en intériorité, d’un legato suprême. La courte section centrale agitata s’achève en un visage aux yeux exorbités, puis ceux-ci se referment pour aborder la reprise, agrémentée de variations supérieurement inspirées. Le violon solo et le basson rivalisent ensuite de virtuosité et de vélocité avec le chanteur dans Venti, turbini, prestate, celui-ci attaquant d’ailleurs une mesure trop tôt (sans conséquence), pris sans doute par son enthousiasme débordant !
Après l’entracte, Mi lusinga il dolce affetto (Alcina) est interprété avec douceur et une musicalité toujours impeccable, tout sourire et en dirigeant l’orchestre par quelques mouvements de bras. On dirait que le soliste nage au travers de la musique, ou qu’il est même traversé par elle, tant il fait usage de son corps, avec d’ailleurs moins de mimiques qu’il y a quelques années [lire notre chronique du 21 novembre 2009]. Il esquisse quelques pas de danse sur Sento brillar nel sen (Il pastor fido), se jouant des cadences supersoniques et des écarts vertigineux. Rien ne lui paraît impossible et l’auditeur est particulièrement gâté : il s’agit d’un air très brillant, avec de redoutables extensions vers l’aigu et des traits virtuoses répétés jusqu’à l’ivresse, ce passage n’ayant que peu à voir avec l’ambiance beaucoup plus bucolique qui domine cette gentille pastorale. Le violon solo rencontre à nouveau de petits temps faibles dans les très rapides et difficiles passages de virtuosité de la Passacaglia (Rodrigo) proposée dans la foulée ; on note, en revanche, la belle maîtrise commune des deux violoncelles.
Scherza infida (Ariodante) constitue sans doute le sommet de la soirée, là où le chanteur fait jeu égal avec le petit son de la formation orchestrale : un air de douleur sensible et visible dans son corps, la bouche qui se tord légèrement, la tête qui tombe, le basson mélancolique qui lui répond… Franco Fagioli lutte en permanence contre l’ennui et, probablement en premier lieu, contre son propre ennui ! Par les nuances, la couleur et les petites notes d’ornementation, jamais une phrase n’est chantée à l’identique et cela pourrait ressembler à de l’improvisation, tant le travail de préparation doit être colossal. Après une Sinfonia tirée de Serse, ce moment est conclu par Crude Furie degli orridi abissi (du même opéra), véritable air de fureur véloce où le grave profond sur le mot abissi est parfaitement en situation ! En rappel, deux airs supplémentaires de Serse : Se bramate d’amar chi vi sdegna, puis Lascia ch’io pianga où le soliste invite le public à chanter avec lui la dernière partie – un auditoire excellent dans l’intonation… et un peu pressé en ce qui concerne le rythme !
IF