Chroniques

par irma foletti

Francesca Caccini | La liberazione di Ruggiero dall’isola d’Alcina
I Gemelli, Emiliano Gonzalez Toro

Festival d’Ambronay / Abbatiale
- 14 septembre 2024
Alcina, opéra de Francesca Caccini (version de concert)
© bertrand pichène

Fondé en 2019 par Emiliano Gonzalez Toro et Mathilde Etienne, l’ensemble I Gemelli met à son programme l’Alcina composé en 1625 par Francesca Caccini – plus exactement La liberazione di Ruggiero dall’isola d’Alcina, dans le titre complet. C’est le Festival d’Ambronay qui inaugure le concert mis en espace par le soprano susnommé, avant d’autres dates annoncées à Lausanne, Toulouse et Versailles, ainsi qu’un enregistrement de l’ouvrage.

Avouons avoir été séduits par cet opus plutôt court, donné sans pause sur une durée d’une heure et vingt minutes. Après le Prologue un peu pompeux, où les déclarations de Neptune et du fleuve Vistule sont tout à l’honneur de la Pologne (l’opéra avait été commandé pour la venue à Florence du prince Ladislas Sigismond Vasa), les quatre scènes enchaînent à vive allure de nombreux tableaux, en faisant indéniablement avancer l’action. Tiré du Roland furieux de l’Arioste, l’argument du livret de Ferdinando Saracinelli relate la libération de Ruggiero des sortilèges d’Alcina par les soins de Melissa, magicienne ici dotée de pouvoirs plus forts. À la fois simple et efficace, la mise en espace joue sur les multiples entrées et sorties des dix interprètes dont certains incarnent plusieurs personnages.

On compte trois protagonistes principaux, en commençant par Alcina défendue par le soprano Alix Le Saux. La voix est véritablement enchanteresse et le personnage souriant et plutôt sympathique à son début. Mais l’artiste balance plus tard entre fureur et désespoir à la découverte de la trahison de Melissa, en appuyant quelques notes et en tenant certains sons fixes, implorant Ruggiero à genoux pour lui demander de rester avec elle [lire nos chroniques de Lakmé, Fantasio, Rusalka et Orfeo]. Habillé de noir et s’appuyant sur une canne, le mezzo Lorrie Garcia apparaît en Melissa comme une figure plus inquiétante, vocalement moins puissante que sa consœur, mais déployant un timbre sombre aux graves élégants et naturels. En Ruggiero, le ténor Emiliano Gonzalez Toro possède une voix ferme, capable de belle ampleur. Il émet de confortables accents de baryton dans la moitié inférieure du registre. Assis ou allongé sur le sol en détenu de l’île d’Alcina, il rend avec énergie les affects du protagoniste, quitte à légèrement surjouer par moments, la main sur le cœur.

Ténor au son concentré et à la projection vigoureuse, souple également lors des brefs passages d’agilité du prologue, Juan Sancho cumule Nettuno puis Astolfo [lire nos chroniques de Siroe, re di Persia, Il Turco in Italia, Rodelinda, Arminio, Rinaldo et Alcina]. La basse Nicolas Brooymans (Uno dei mostri) et le ténor Jordan Mouaissia (Pastore, Vistola) complètent le plateau masculin [sur le premier lire nos chroniques de Combattimento, Il ritorno d’Ulisse in patria, Ariadne auf Naxos et Carmen], tandis que les rôles secondaires féminins sont sensiblement plus développés. Les soprani Natalie Pérez (Damigella, Nunzia), Amandine Sanchez (Sirena, Damigella II) et Cristina Fanelli (Sirena, Damigella III), ainsi que le mezzo Pauline Sabatier (Sirena, Damigella IV) forment régulièrement le chœur des demoiselles, mais interviennent aussi de manière individuelle pour des strophes séparées, ainsi qu’elles interprètent les sirènes qui portent des voiles aux reflets verts. Il est à noter que la jeune Amandine Sanchez (dix-neuf ans) remplace au pied levé Mathilde Etienne dans la partie chantée.

La partie instrumentale est un autre enchantement, le continuo à composition variable – clavecin ou orgue de Violaine Cochard, harpe, luth, second luth ou guitare, parfois un violoncelle – donne du relief et du rythme à des récitatifs parfois un peu longs. La musique se prolonge après l’issue de l’opéra, les artistes venant saluer en rythme par couples, à la manière d’un ballet de cour Louis XIV. Lorsque les dix solistes s’alignent sur le devant du podium, le public déchaîne ses applaudissements.

IF