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Harmonia Mundi, l’idéal musical de Platon à la Renaissance
La musique médiévale reste encore rarement programmée, probablement parce que mal connue et appréhendée comme une musique trop savante. Pourtant, la richesse de son répertoire est infinie, témoignant de près de cinq siècles d’une évolution lente, mais bien réelle. L’écouter et l’étudier pour mieux en apprécier ses beautés et découvrir ce que les musiques qui ont suivies lui doivent, c’est ce à quoi nous invitait, ce samedi, la Cité de la musique, grâce à ce forum intitulé Harmonia mundi, l’idéal musical de Platon à la Renaissance.
En deux petites heures, trois conférenciers – Olivier Cullin et Florence Malhomme, musicologues, et Jean–Marie Fritz, professeur de littérature médiévale – ont offert à un public venu nombreux un aperçu extrêmement dense de l’histoire et de l’analyse de la musique médiévale. Divisée en trois parties, permettant de remonter aux origines, de Platon à Aristote en passant par Boèce, ils ont présenté cette quête d’un idéal jardin d’Eden où la musique des sphères permettait à l’homme de résonner en harmonie avec l’univers.
Mais la musique médiévale propose d'unir le macrocosme – Dieu et les sphères – au microcosme – l'homme et la nature – en son jardin idéal, et l'art du chant en est la plus pure expression. Quant aux instruments, perçus comme la part la moins noble de l’art, ils se développeront plus tardivement.
Cet art fut d’abord considéré comme une science. Car la musique était composé avec une grande précision mathématique et rythmique, basée sur les nombres, mais aussi parce qu’elle avait déjà la vertu de soigner les maux de l’âme et du corps. Dans sa quête d’un équilibre idéal, la Musica humana trouvera en Guillaume de Machaut son dernier grand trouvère, poète musicien et musicien poète. Après lui, la complexité de l’évolution de la musique séparera les deux fonctions.
Après cette conférence passionnante le quintette vocal féminin De Caelis – comprendre : à propos des Cieux [lire notre chronique du 7 septembre 2008] –, spécialisé dans ce répertoire si varié, orne le propos d’un concert hors du temps. L’orgue de scène, au buffet pourtant contemporain, ménage un décor intimiste proche de ceux des mystères. La direction attentive et précise de Laurence Brisset permet au chant de se développer, d’envelopper l’auditoire en une sensation de béatitude onirique. Le programme, dont le livret nous dit peu, set compose de pages religieuses et profanes de l’âge d’or de cette musique, invitant à un voyage partant des cieux pour y revenir après une virée au cœur de l’amour courtois. Les cinq chanteuses forment un ensemble à l’homogénéité maîtrisée. Les timbres magnifiques, des soprani aux alti si uniques pourtant, s’unissent, s’entrelacent avec suavité. Droite et pure, la ligne de chant transporte vers ces chapelles et abbayes où le temps était éternité, tandis qu’aux châteaux les dames, en compagnie des trouvères, créaient la civilisation de l’amour courtois. Ainsi Florence Limon, dans un air anonyme, intituléEndurez, qui fait transition entre le monde des cieux et le monde humain et montre combien pure est la souffrance, bouleverse-t-elle par sa plainte. Seul l’amour céleste peut consoler, bien sûr, apporter à la vie le sens d’un absolu rassurant, à la lumière libératrice.
Silencieux, le public s’est laissé séduire par ces dames qui, en un souffle léger nimbé de clarté, l’ont conduit en cet Eden où les sphères chantent en harmonie avec l’homme.
MP