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Chroniques
Faust
opéra de Charles Gounod
Qui jamais ne voulut réinventer sa jeunesse, faire table rase du passé et jouir à l'ivresse première de tous les plaisirs, débarrassés qu'ils pourraient être des valeurs établies ? Si à l’in ce fut possible, ce ne fut pas sans coût : a(à)-dieu le paradis, ici l'enfer. Et voici Faust à l'ombre de Méphistophélès qui use de la candide orpheline Marguerite en qui assouvir ses désirs et à qui offrir la damnation.
Si le héros légendaire a maintes fois été modelé, par autant de poètes et de peintres que de musiciens, c'est nimbé de poudre d'argent que la version du compositeur Gounod, inspirée du roman de Goethe, est ici présentée. Faust, assis à la table de son ténébreux cabinet, plume tremblante et désespérée, hurle au néant, à l'ombre d'une église. Au seuil du suicide et sous le regard de Dieu, il ne veut plus croire que ce qu'il voit : s'il pactise avec le démon, c'est que la consolation de Méphistophélès est de taille, lui permettant dès à présent de dévêtir la Vierge trônant au chœur de l'église. Premier blasphème…
Il semble que l'ère de la reproduction mécanique et sa nouvelle observation du monde ait inspiré, fort à propos Poppi Ranchetti pour les décors : les parois tendues qui dessinent tantôt des paysages urbains, tantôt l'orée de clairières ou d'églises, dans un graphisme toujours noir et argenté, sont autant de daguerréotypes d'un temps certes révolutionnaire mais aussi révolutionné. On y aperçoit une grande roue de foire, une devanture de café, etc. Et la citation de ce sens nouveau pour une réalité nouvelle, en quelque sorte désacralisée, semble vouloir gagner du terrain, puisque le deuxième tableau prend des allures du Grand Verre de Duchamp : faut-il y lire une Mariée mise à nue par ses célibataires, même ? Et ils sont nombreux, ces mâles-mécaniques, à convoiter la Marguerite !
L'atmosphère contrastée d'une époque noir-et-blanc définit un univers manichéen en proie à la morale et au pécher, à Dieu et à Diable dont le metteur en scène Paul-Émile Fourny eut du mal, semble-t-il, à s'affranchir complètement. Si elle se teinte par endroits de touches colorées (le cirque qui traverse la scène avec ses rubans rouges), ces notes toujours ensanglantées amorcent un univers fantastique qui dévoile plus un christianisme suranné et prosélyte que spirituel, à l'heure où Dieu n'est plus à douter mais où son absence interroge en secret les âmes. Par ailleurs, la souplesse d'un Méphistophélès à l'allure de Charlot, vêtu d'un trois pièces, canne-épée au poignet, ne pousse pas les ressorts tragicomiques auxquels pourrait faire appel ce personnage. On regrette donc que toutes ces options de lecture n'aient pas été menées avec un aplomb plus prononcé.
Notons cependant que, si la mise en scène reste plutôt fidèle au contexte romantique, le ballet infernal (quatrième acte) donne un sang neuf à l'ouvrage. Retenons-en l'éclat de la merveilleuse danse des démons, chorégraphiée par Eleonora Gori. Après avoir bu au calice de l'enfer, Faust laisse le plateau à des jeunes filles qui dès leur entrée offrent en grand écart sur une chaise, face public, ce que l'on ne peut se refuser à voir... Bientôt rejointes par leurs cavaliers respectifs, elles déchaînent une danse provocante, désignant dans l'épreuve des corps indécents, violence, domination et jouissance, juxtaposées dans l'élan du désir et du désirable. Et il y a du monde au balcon dans la loge voisine pour assister au spectacle de la face cachée de l'homme : d'ailleurs Méphistophélès et Faust loin de se contenter du regard sont eux-mêmes caressés par les démons féminins aux corsages généreux, dans une lumière de sang et de plaisir qui désigne la débauche. C'est dans cette danse où s'exprime la mort et la sexualité, thèmes sur lesquels pèsent tabous et interdits, que naît le désir de transgression, point d'ancrage vital de l'œuvre de Gounod.
Dans le rôle-titre, Andrew Richards, dont on attendait plus de détermination, use d'une voix plutôt légère. Christophe Fel incarne un démon plutôt sympathique. Dans un sens plus comique que satanique, sa voix sans âge explore la tentation sans pour autant pousser le vice. En Marguerite, Nathalie Manfrino porte merveilleusement la figure dramatique que l'œuvre pose sur ses épaules ; sa prestation vocale volontaire et sa ligne pure déclinent les beaux moments d’un personnage écartelé par les forces du mal et du bien. Sa voix claire et épurée, qui ménage mieux les graves que les aigus, mène les contrastes nécessaires à véhiculer l'action dramatique. Pour jouer Siebel, qui « ne peut toucher une fleur sans qu'elle ne se fane »,Karine Godefroy use d'une voix toujours stable et régulière qui guide son personnage vers la douceur. Enfin, dans le rôle de Valentin, Marc Barrard joue un frère protecteur à la voix riche, pleine et convaincante ; on retiendra notamment son bel air du II au ton largement sérieux, grave et moral. Dirigé parEmmanuel Villaume, l'Orchestre Philharmonique de Nice fait gronder ses instruments avec force.
DR