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Chroniques
Fantasio
opéra-comique de Jacques Offenbach
En ce début d'année, les calendriers se télescopent : en prélude à la réouverture de la salle Favart, l'Opéra Comique investit le Théâtre du Châtelet pour l'inauguration de sa saison (forcément un peu décalée) avant que ce dernier ferme à son tour pour une rénovation. C'est avec un ouvrage méconnu de Jacques Offenbach, Fantasio, qu'Olivier Mantei a voulu initier son mandat. Inspiré par la pièce éponyme de Musset, elle-même en retrait des conventions dramatiques de son temps, l'ouvrage n'a pas trouvé son public à la création – retiré de l'affiche après dix représentations parisiennes et à peine plus d'une vingtaine au Theater an der Wien de la capitale autrichienne. Les circonstances n'ont pas été favorables, entre la congestion et les cabales afférentes provoquées par trois créations simultanées du compositeur et la défaite contre la Prusse, qui rendait inacceptable aux spectateurs français le plaidoyer pour la paix du troisième acte – lequel verse dans un pacifisme un rien anarchique, quand Le roi Carotte vire navet [lire notre chronique du 18 mars 2008]. Quoique seule la version allemande soit disponible, l'original français ayant été détruit, Jean-François Keck vient d'éditer, à partir de diverses sources manuscrites, une reconstitution de la création parisienne, qui sert le présent spectacle (coproduit avec Genève, Rouen, Montpellier et Zagreb).
Si, avec Eliogabalo [lire notre chronique du 16 septembre 2016], l’Opéra national de Paris a voulu damer le pion au Comique pour avoir la primeur d'offrir à Thomas Jolly ses débuts sur la scène lyrique, on pourra peut-être trouver icile metteur en scène français plus à l'aise avec les codes du genre. Avec les cinquante nuances de noir d’une scénographie dessinée par Thibaut Fack, on retrouve des invariants scénographiques habilement investis, tels le titre en élément de décors. Le dispositif joue de la contemporanéité des débuts de la photographie et fait entrer les protagonistes royaux au travers d'un diaphragme, tandis que le balcon déambulatoire métallique rappelle une matière vertébrale de la révolution industrielle. Certes, les costumes imaginés par Sylvette Desquest ne manquent point de couleurs, grimant le prétendant de Mantoue de roses pastels plus XVIIIe que nature, aux côtés de la livrée verte de son factotum, quand le bouffon se vêtit d'un jaune bariolé qui en rehausse l'extravagance. Pour autant, cette individualisation vestimentaire est ailleurs contredite par le sfumato qui, avec la complicité des éclairages réglés par Antoine Travert et Philippe Berthomé, altère parfois la caractérisation des personnages, à l'instar des compagnons de Fantasio baignés au début dans une pénombre à la poétique passablement contraire à l'écriture musicale.
Familière du rôle-titre pour l'avoir chanté au Festival de Radio France et Montpellier Languedoc-Roussillon, Marianne Crebassa s'y glisse avec un admirable instinct et fait montre d'un timbre à l'homogénéité idoine, support d'un camaïeu expressif circonscrit avec une évidente justesse qui s'allie le babil léger de Marie-Ève Munger en Elsbeth. Jean-Sébastien Bou affirme au prince de Mantoue une belle plénitude, autant vocale que comique, et s'apparie sans heurt avec le Flamel énergique campé par Loïc Félix. Avec une gourmandise certaine, Franck Leguérinel endosse la couronne du roi de Bavière. Outre l'estimable Alix Le Saux en Flamel, on mentionnera le cercle de Fantasio réunissant un quatuor de promesses accomplies par la nouvelle génération – Philippe Estèphe (Sparck), Enguerrand de Hys (Facio), Kévin Amiel (Max) et Flannan Obé (Hartmann) –, ainsi que les interventions de Bruno Bayeux (Rutten, tailleur et garde suisse). Préparé par Mathieu Romano, le Chœur Aedes ne faillit point à son excellente réputation, et se montre au diapason de l'intelligibilité générale [lire notre critique du CD]. Enfin, à la tête de l'Orchestre Philharmonique de Radio France, Laurent Campellone exalte l'inventivité d'une partition qui redonne une fraîcheur inédite à des procédés musicaux déjà éprouvés par Offenbach dans sa carrière bouffe (découvrant une veine qui s'épanouira dans Les contes d'Hoffmann), sans oublier une discrète mélancolie, magnifiée par une orchestration délicate savoureusement ciselée par la phalange parisienne.
GC