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Chroniques
Emmanuel Pahud, Maja Avramovic et Alessio Bax
César Cui, Camille Saint-Saëns et Franz Schubert
C’est par les brefs accords introductifs, péremptoires comme de juste, de l’Odelette Op.162 de Camille Saint-Saëns que commence la nouvelle édition du Festival de Salon-de-Provence, l’une des rares manifestations culturelles estivales maintenues en temps de virus Corona. Depuis le 23 février [lire notre chronique], la fermeture des salles et des théâtres, le confinement puis les restrictions pour raison sanitaire nous ont éloignés de la musique vivante, celle que des artistes donnent à un public venu pour les entendre. Voir des concerts et des opéras en streaming put provisoirement tenir lieu d’ersatz, mais n’aurait pu durer. Tant attendues, les retrouvailles avec l’instant, l’acte et le son le démontrent d’emblée.
Et quel son ! Dans la chapelle de l’Abbaye de Sainte-Croix, perchée dans la colline, Emmanuel Pahud et ses amis servent avec grâce un programme exigeant. Lyrique et tendre, la flûte chante la page tardive de Saint-Saëns, dont le développement avance vers un romantisme héroïque. Virtuosité et délicatesse s’y marient comme par miracle, dans le legato nuancé du flûtiste comme dans le touché subtil d’Alessio Bax. L’excellent pianiste [lire notre critique de son CD Moussorgski–Scriabine] ménage à la conclusion une exquise douceur.
La violoniste Maja Avramovic gagne la scène pour une suite en trio de César Cui. Fort rares, ces Cinq petites pièces Op.56 explorent une charmante saveur fin de siècle, proche du jeune Debussy quant à la première. Sur la perpétuelle cloche pianistique de la suivante, violon et flûte déposent une berceuse habitée par des résolutions harmoniques liées à la tradition russe. Après une virevolte habilement dansée, le quatrième numéro consiste en une romance quasi fauréenne, petit bijou d’expressivité qui l’érige en favori du cycle. Joueur et rafraîchissant, le dernier morceau retrouve le chemin de la salle de bal, sous les velours inouïs du piano. Le raffinement du travail dynamique fait de l’interprétation un moment précieux.
Si l’on connaît bien la respiration confortable, pour ne pas dire imperceptible, d’Emmanuel Pahud [lire nos chroniques du 1er décembre 2006, du 14 juin 2014, du 4 mars 2016, du 30 octobre 2019 et du 1er mai 2020], la Romance Op.37 de Saint-Saëns, proprement asphyxiante, la sollicite tout particulièrement. Maître du souffle, le soliste en magnifie le redoutable phrasé avec une facilité qui laisse pantois.
Point d’arpeggione, de baryton ni de violoncelle pour la célèbre Sonate D.821 de Franz Schubert que nous écoutons dans une transcription réalisée par le flûtiste français. Alessio Bax distille un bref prélude recueilli qui invite une entrée paisible de son partenaire, dans un climat introspectif où le chant de l’Allegro moderato se passionne peu à peu, toujours sans véhémence superfétatoire. Jamais déployée, la vaillance survient sans se signaler, à la faveur d’une expressivité certes éperdue mais soigneusement circonscrite à la plus haute qualité d’inflexion. Loin des drames, des joies et de leurs effusions, le mouvement va son cours dans une sorte de tristesse heureuse, pourrait-on dire, mélancolie sans emphase discrètement close. L’onctuosité de l’Adagio est un bonheur indicible où, sans tralala, l’Allegretto enchaîne sa rafraîchissante chanson de Heuriger, dans une fine lumière. Bravi !
BB