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Chroniques
Die Walküre | La walkyrie
opéra de Richard Wagner
Introduit l’an dernier par un Rheingold remarqué à maints égards, le Ring strasbourgeois se poursuit avec une première journée joliment plastique, affirmant une absolue cohérence dramatique qui emprunte au prologue plusieurs motifs [lire notre chronique 14 février 2007]. Dans la lumière savante de Paule Constable, dotant le plateau d’une profondeur jusqu’aujourd’hui insoupçonnée, la production de David McVicar se dessine dans la littéralité des décors de Rae Smith qui, par le costume, réinvente la mythologie wagnérienne.
Devant des parois rocheuses au sol noir luisant – nuances d’ardoise et d’ébène –, Siegmund traverse trois cercles de braises, amorces du sort de la walkyrie et de l’exploit du futur Siegfried. Ainsi s’ouvre la représentation, sous la protection du « frêne sacré du monde » dont l’écorce extrêmement travaillée s’orne de diverses offrandes (tissus, crâne de bélier, etc.) et enferme le glaive magique qu’on s’attend bien à trouver là. On pourrait penser que d’accompagner l’arrivée d’Hunding par huit sbires menaçants relève du tic de metteur en scène, voir du gadget : il n’en est rien, cette apparition largement chorégraphiée (Andrew George) décuplant le danger permanent qui pèse sur les futurs amants. L’option suscite des situations inventives, comme ce repas partagé sur un modeste tissu gris déroulé pour l’occasion, table que préside Hunding juché sur l’unique tabouret – privilège du pouvoir : il est le maître, ici.
Le deuxième acte suspend les masques de Rheingold, côtoyant un bestiaire habité par des figurants talentueux : les corbeaux messagers sont deux massifs torses nus à becs noirs, s’envolant, affolés, au début de l’épisode. Monté sur un appareillage échassier d’une belle souplesse d’utilisation, le cheval est là, lui aussi, avec sa haute tête transparente, comme il se doit pour qui « chevauche dans les airs ». Enfin, c’est tirée par deux béliers dont elle ensanglante le dos d'un fouet impatient que Fricka fait son entrée. La démultiplication de centaures « plexiglacés », bondissant autour d’un roc à face divine, offre une chevauchée digne du nom à la première scène du dernier acte, impressionnante et esthétique, dont le seul défaut est de produire trop de bruit.
L’espace scénique est sans cesse recréé.
On ne regrettera qu’un duel plutôt maladroit, brouillon, s’oubliant dans l’anecdotique acharnement d'Hunding sur la dépouille du héros, et l’on emportera, en revanche, le souvenir du fidèle coursier qui veille affectueusement la léthargie de la rebelle, au bord du rideau de flammes – oui, la poésie est de la fête – tandis que Wotan abandonne déjà son costume pour revêtir le manteau du Wanderer.
Vit-on jamais walkyries si engagées dans le jeu ? Malgré les quelques désagréments d’une Varduhi Abrahamyan à l’émission sourde et tremblante (Roßweise) et d’une Linda Sommerhage rarement juste (Siegrune), on apprécie les prestations irréprochables de Sylvia Kevorkian (Helmwige), Karen Leiber (Gerhilde) et Sylvie Althaparro (Grimgerde). On goûte plus particulièrement la chaleur du timbre moelleux de Kimy McLaren (Ortlinde), la puissante agilité d’Annie Gill (Waltraute) et la stupéfiante ampleur de Katharina Magiera (Schwertleite).
Par une émission généreuse à l’autorité naturelle, utilisée dans un chant racé quoique pas toujours parfaitement stable, Clive Bayley campe un Hunding solide. On retrouve l’efficace Fricka d'Hanne Fischer, véritable amoureuse qui emporte la victoire de l’honneur sans gagner le combat de l’amour. Avantagé par un impact évident, une saine projection, le Siegmund de Simon O’Neill paraît prudemment mené, dans une conduite raffinée de la nuance. L’aigu reste souple, de même que tonique et calme se montre le phrasé. Pourtant, des signes indéniables de fatigue s’avouent au début de l’Acte II, l’enrouement demeurant le moindre. De moins en moins fiable, le ténor aura des difficultés à finir. D’abord d’un timbre discret, voir feutré, Orla Boylan propose une Sieglinde dont elle révèlera peu à peu la plénitude. Le chant est intelligemment conduit, respiré avec élégance, dramatiquement défendu, toujours expressif. Poursuivant son approche de Wotan, Jason Howard offre le désavantage d’une couleur différente par étage : le grave est étroit et sans grain, le médium naturel et rondement coloré, le haut-médium outrageusement nasalisé, tandis que l’aigu s’ouvre le plus souplement qui soit. Si le grand récit (Scène 2 de l'Acte II) rencontre de somptueuses demi-teintes, les adieux hésitent quant à l’intonation. Enfin, bien qu’arborant une vaillance sans faille et une généreuse pâte vocale, Jeanne-Michèle Charbonnet nuance chichement et semble peu concernée. Largement pourvue des moyens qu’exige le rôle, sa Brünnhilde ne convainc cependant pas.
À la tête d’un Orchestre Philharmonique de Strasbourg plus en forme que l’an dernier, encore qu’accusant des approximations aux cuivres et aux violons, Marko Letonja conduit une lecture d’une grande lisibilité vers un résultat assez scrupuleusement soigné, minutieusement attentif à l’équilibre scène-fosse, mais relativement terne.
BB