Chroniques

par laurent bergnach

deux créations françaises par l’Ensemble Intercontemporain
œuvres de Mark Andre et Matthias Pintscher

Festival d’automne à Paris / Cité de la musique
- 15 octobre 2019
Mark Andre et Matthias Pintscher par l’Ensemble Intercontemporain
© felix broede

Quelques jours après le Trio Catch [lire notre chronique du 7 octobre 2019], l’Ensemble Intercontemporain fait à son tour résonner la musique de notre siècle dans le cadre du Festival d’automne à Paris. Bien évidemment, Matthias Pintscher [photo] dirige la formation dont il est le directeur musical depuis septembre 2013, qui jouera sa musique après l’entracte.

Toute la première partie de soirée est occupée par riss, un triptyque conçu par Mark Andre (né à Paris, en 1964), que forme riss 1 (Paris, 2017), riss 2 (Francfort, 2014) et riss 3 (Cologne, 2016). Résidant à Berlin depuis près de quinze ans, c’est tout naturellement que l’ancien élève de Rihm et de Lachenmann choisit la langue allemande pour titrer son œuvre – un mot que l’on traduira par fissure, fracture, déchirure –, laquelle illustre les travaux de la théologienne Margareta Gruber. En effet, explique le musicien, celle-ci s’est passionnée pour le « déploiement d’interstices rituels » au sein du Nouveau Testament, un livre qui regorge de voiles ou de cieux entamés par la force, de reniements et de trahisons. Architecte du fragile et de l’instable, l’auteur de …auf… avait déjà évoqué les riss de l’Apocalypse dans …als…I [lire nos critiques des CD col legno et Wergo]. Ici, il se donne pour défi d’allier espace de respiration et intensité maximale, décrivant son triptyque comme en proie à une disparition qui « n’a rien de dramatique ou de pathétique ni même de poétique ou de lyrique » (brochure de salle).

D’emblée, riss 1 invite le souffle et le vent (Esprit saint) qu’un frottement de timbale parvient à évoquer. Les cordes tendres aident à la création de différents climats rivés par des acmés ou des silences, que viennent égayer, délicats, une clarinette qui papillonne, un trombone qui barrit, etc. Un ostinato couinant annonce un final que signent l’utilisation de rhombes dernier cri. Un peu plus long que cette première section, riss 2 multiplie les césures et les râles d’un tissu réhaussé de chocs récurrents et variés. Sans même parler de la percussion (plaques de bois et d’acier), on entend des tapotages rapides sur les touches de l’accordéon ou des cordes de contrebasse claquer à l’envi. Enfin, dépassant de dix minutes la section d’origine, riss 3 combine les deux univers précédents. Ainsi, après le métronome initial qui fait écho au son d’alarme qui ouvrait riss 1, le vent redouble de présence, traversé de bruits nouveaux (galop de souris au violon joué sans archet, plainte du polystyrène, etc.), avant que ne tournoient de nouveau les rhombes.

Entre les représentations de Violetter Schnee de Beat Furrer [lire notre chronique du 16 janvier 2019] et celles, en préparation, d’Orlando d’Olga Neuwirth, Matthias Pintscher trouve le temps de jouer son propre catalogue. Et tout d’abord le concerto mar’eh (visage, signe ou vision merveilleuse, en hébreux), créé ici-même le 23 mars 2016, avec Hae-Sun Kang. Maîtrisant son violon à la perfection, Diego Tosi fait entendre un jeu limpide auquel un ensemble à la texture transparente permet souvent d’évoluer au plus près des harmoniques. Si la virtuosité est évidente, elle n’est pas extravertie ou exaltée, mais tiendrait plutôt de l’introspection – « ce que l’on pourrait peut-être appeler une “virtuosité concentrique” » (ibid.).

Le 20 janvier dernier, à Berlin, sous la double égide du créateur de l’Ensemble Intercontemporain (Pierre Boulez Saal, Boulez Ensemble), Daniel Barenboïm créait NUR, concerto pour piano dont il a encouragé la conception. Comme l’indique la traduction de son titre (hébreu, arabe), Pintscher y célèbre le feu, voire la lumière, au fil de trois mouvements. Si le premier, Lightly, floating, met en relief quelques rapides soli (cor, violoncelle, violon, etc.), c’est évidemment Dimitri Vassilakis qui capte l’attention. Des moments suspendus l’achèvent, annonçant Sospeso, sospirando, le deuxième, qui ravit par sa légèreté et son moelleux, tandis qu’Erratico, con durezza ménage plusieurs passages rythmés, voire furieux.

LB