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Chroniques
Der Goldkäfer | Le scarabée d’or
opéra de Dai Fujikura
Produite par OperAvenir en collaboration avec l’Hochschule für Musik de Bâle, la création mondiale du nouvel opéra de Dai Fujikura, commandé par l’institution pédagogique citée et la Fondation Ernst von Siemens, réunit cinq jeunes voix autour du Scarabée d’or, célèbre conte d’Edgar Poe (The gold bug, 1843) mis en livret par Hannah Dübgen. Chantée en langue allemande, l’œuvre s’intitule Der Goldkäfer. De même que l’original littéraire, elle n’est pas exclusivement adressée aux petits, bien que la dizaine de représentations prévue après la première de ce soir soit donnée à des horaires dit scolaires.
Sur le tiers droit de la scène de la petite salle du Théâtre de Bâle siège une formation chambriste (environ douze instrumentistes), des étudiants de l’Hochschule, fermement dirigés par Stephen Delaney. Une tête de mort rudimentaire est projetée sur la brique blanche, au-dessous de l’orchestre dont les musiciens arborent un noir bandeau de pirate. Le reste du plateau, délimité par un rideau à la transparence chamarrée sur une tringle torve, est occupé par le jeu. Une attaque mordante caractérise les premières mesures, tandis qu’une pluie violente est projetée sur le rideau. Le spectacle commence sous la tempête.
Bientôt, nous découvrons le narrateur de la nouvelle originelle, Albert, ainsi que le chercheur William et son majordome Jupiter, ici rebaptisé Sam. La dramaturge rhénane ne s’en tient pas à ce trio masculin : vraisemblablement dans le souci d’une transmission plus ludique, elle a glissé deux présences féminines dans l’affaire, la grand-mère Anneli et Lilith, fille d’Albert – le choix de ce prénom ferait-il référence au poème de 1849, Un rêve dans un rêve (A dream within a dream) ?... Le baiser sur le front le laisse vivement penser, occasion de broder une histoire d’amour entre le valet insulaire et la jeune fille, sur fond de compassion mutuelle, chacun s’avouant à l’autre orphelin de mère.
À partir de la morsure du superbe coléoptère dont étonnent si grandement la taille et le dessin qu’il fait galoper l’imagination, une haletante aventure de course au trésor va bientôt son cours, dans un univers quasiment forain, à la faveur des costumes et du décor de Susanne Scheerer. Pendant environ une heure et vingt minutes, parfois non dépourvues de reculs assez facétieux par la mise en scène de Julia Hölscher, le scarabée doré – une ampoule dont on préserve jalousement la lueur au creux de sa main, qui concentre le message qu’a décodé William – conduit peu à peu les protagonistes jusqu’à la trappe dont ils feront surgir épée, fourrures, bijoux, écus et armure, finissant par une sorte de formule rituelle répétée à l’envi en jetant des pépites dorées sur le public amusé.
Outre certaines trouvailles qui s’apparentent à un efficace figuralisme, presque naïf (pizz’ nerveux sur la première mention de l’insecte dont on croit percevoir la démarche rugueuse sur la peau, par exemple), la musique de Fujikura, moins radicale qu’on la connaissait jusqu’alors [lire nos chroniques de Secret forest, Abandonned time, Concerto pour violoncelle, Time unlocked, Flare, Ampere, Solaris, Okeanos, Ghost of Christmas et My letter to the world, récemment distingué d’une récompense par notre rédaction] conjugue une couleur séduisante qui semble infiltrer d’un souvenir des compositeurs étatsuniens, dans l’écriture instrumentale souvent répétitive, la tension sur un pôle tonal, par moments, et surtout dans le lyrisme exacerbé de la vocalité à laquelle répond une grandiose partie de violoncelle.
Ainsi, malgré un orchestre restreint (qui, certes, n’est pas placé en fosse), Der Goldkäfer nécessite un certain format vocal, dûment vérifié par les artistes en présence, à l’exception des interventions d’Anneli et de Sam, voulues discrètes, honorablement tenue par le mezzo-soprano Anastasia Bickel et le ténor Matthew Swensen. Le riche soprano de Sarah Brady sert généreusement Lilith. Le nerf de l’intrigue est confié à des gosiers graves : le chant robuste du baryton-basse slovène Domen Križaj assume un Albert onctueux et solide, tandis que l’impressionnant Bolivien José Coca Loza convoque une basse magistralement invasive dans son incarnation charismatique de l’étrange William.
BB