• en marge

Fascinante Marietta de Die tote Stadt [lire notre critique du DVD], remarquable Marie de Wozzeck [lire notre chronique du 29 mars 2008], étonnante Emilia de L’Affaire Makropoulos [lire notre chronique du 27 avril 2007], bouleversante Sieglinde de Die Walküre [lire notre critique du DVD], superbe Arabella, inoubliable Katia Kabanová, nous retrouvons Angela Denoke dans un récital plutôt inattendu, construit de ces chansons célèbres en leur temps, celui de l’entre-deux-guerres, conçues pour le théâtre, l’opérette, la revue, le musical ou le cinéma, par des musiciens allemands, autrichiens, hongrois, souvent d’origine juive, qui s’exilèrent dès 1933 : de Babelsberg (où se trouvaient les studios de la UFA) à Hollywood.

Toujours les prestations du grand soprano allemand ont laissé percevoir un grave riche, sur lequel semblait solidement construit l’équilibre de la voix jusqu’en son extrême aigu. C’est dire la possibilité de couleur d’un tel instrument ! N’ayant pas à se soucier des contingences de projection, puisqu’elle est accompagnée par un jazz band plutôt que par la masse orchestrale d’une fosse, et qu’un micro transmet ici jusqu’à la moindre granulosité d’un soupir expressif entre deux mots, Angela Denoke nous fait plus amplement goûter de ce grave envoûtant qu’elle possède, servant à merveille des pages que chantèrent, parfois même créèrent, les grandes charmeuses du monde d’hier : Margot Hielscher, Camilla Horn, Greta Keller, Lilian Harvey ou Eva Busch, sans oublier les Hongroises Gitta Alpár et Marika Rökk ni quelques illustres crooners comme Erwin Hartung, Wilfried Sommer, Luigi Bernauer ou Ilya Livschakov, et, principalement, les immenses Lotte Lenya, Zarah Leander et Marlene Dietrich, bien sûr.

Avec la complicité de Norbert Nagel, saxophoniste inspiré autant que bon clarinettiste et flûtiste, du percussionniste Michael Gierner, de Jan Roder à la contrebasse et de Tal Barshai au piano, mais aussi de Gerard Mortier qui, lové dans un fauteuil corail nonchalamment jeté sur le plateau, présente la soirée, Angela Denoke promène le public dans Berlin, Vienne, Budapest, Paris et New York, suspendant l’auditoire à un Wenn ich mir was wünschen dürfte à couper le souffle (Friedrich Hollaender), un September lyrique à souhait (Kurt Weill), un Toujours l’amour séduisant (Paul Abraham), extrait de l’opérette Ball im Savoy (1932), ou encore à Wenn die Sonne hinter den Dächern versinkt de Peter Kreuder (extrait du film de Karl Anton, Weisse Sklaven), le célèbre der Wind hat mir de Lothar Brühne (dans La Habanera, film de Detlef Sierck) et Nur nicht aus Liebe weinen, la chanson russe de Theo Mackeben (pour Es war eine rauschende Ballnacht, film de Carl Froelich).

Weil est, bien évidemment, le plus présent des musiciens choisis, puisque sont offerts Nanna’s Lied, jouant judicieusement la carte d’un accompagnement au piano seul, d’une nudité qui magnifie une interprétation à fleur de peau, et deux extraits de musicals écrits pour Broadway – One Touch of Venus (1942) avec Speak Low et Lady in the Dark (1941) avec My Ship [lire notre chronique du 14 février 2009] où l’émission s’avère d’une parfaite élasticité.

Et c’est avec The Man I Love de Gershwin, donné en bis, que l’artiste prend congé !

BB