Recherche
Chroniques
Das Lied von der Erde au piano
Fabrice Dalis, François Le Roux et François-Frédéric Guy
Ne vous sentez pas invités à chausser de nouvelles bésicles à la tranche épaisse : c'est bien sur la petite scène de l'Auditorium du Musée d'Orsay que se donne Das Lied von der Erde. Par quel subterfuge parvient-on à y loger les nombreux pupitres qu’une telle exécution convoque ? Encore n’y joue-t-on pas la version définitive orchestrée mais son tout premier achèvement pour ténor, baryton et piano. Cette partition n'est pas ni une réduction faite après coup et destinée à servir de matériel de répétition, ni une adaptation imaginée pour l’exécution de chambre (comme celle de Schönberg), mais une étape signée de Mahler lui-même, à l'issue de l'été 1908. L'hypertrophie supposée ne sera donc qu'imaginaire.
Quant au renouvèlement de la perception qu'on en a, pour le coup, c'est bien effectif qu'il se fait. Surprise en ses habitudes, l'écoute redécouvre Das Lied von der Erde comme d'une oreille vierge. C'est une des vertus de cette initiative que de réitérer le miracle de la première fois. Dans un brio sagement canalisé, François-Frédéric Guy ouvre le premier mouvement avec une fermeté qui bientôt se mue en plénitude, à la croisée de la voix – celle de Fabrice Dalis dont le timbre et l'impact surpassent aisément l'excès expressif (celui de la partition, le jeu du pianiste se montrant bien au contraire infiniment nuancé, éclairé, travaillé). La poigne initiatrice s'étoffe, de même que le geste musical en général. Suit un Solitaire au pianisme qu'on pourrait croire ravélien. On regrette la méforme de François Le Roux dont l'aigu n'offre pas la souplesse nécessaire à de nombreuses attaques pianissimo. Am Ufer comme Der Abschied en souffrent, les derniers « ewig » de celui-ci trouvant toutefois dans la fatigue une imprégnation plus sensible encore.
Si le ténor s'affirme remarquablement vaillant et enthousiaste, c'est avant tout l'approche intelligente, lumineuse et colorée de François-Frédéric Guy qui transmet le cycle dont il cisèle admirablement l'unité tout en dessinant les particularismes de chaque poème. Pour finir, c'est bien lui qui, bouleversant, fait « bleuir de lumière les lointains » d'un toucher qui n'a d'aussi subtil que ses articulations et respirations.
BB