Chroniques

par hervé könig

Dantons Tod | La mort de Danton
opéra de Gottfried von Einem

Gärtnerplatztheater, Munich
- 15 octobre 2018
Au Gärtnerplatztheater de Munich, "Dantons Tod", opéra de Gottfried von Einem
© christian pogo zach

Cette année 2018 célèbre le centenaire de la naissance de Gottfried von Einem. Le compositeur autrichien, disparu en 1996, laisse une importante œuvre pour le théâtre, donc le premier opus, Dantons Tod. À partir de la pièce éponyme de Georg Büchner, Einem et Boris Blacher (qui fut son professeur) en ont conçu le livret, très fidèle à l’original. La mise en musique s’est terminée pendant le procès de Nuremberg. On peut difficilement imaginer le choc que sa création suscita, au Salzburger Festspiele en 1947 : juste après la guerre, la ville est encore meurtrie, peuplée de survivants et de réfugiés, tous cruellement marqués par sept ans de collaboration nazie.

Au printemps dernier, la Wiener Staatsoper a présenté une production de cet opéra dont la mise en scène fut confiée à Josef Ernst Köpplinger [lire notre chronique du 27 mars 2018]. Aujourd’hui, l’homme de théâtre autrichien, directeur du Gärtnerplatztheater depuis six saisons, invite l’un de ses confrères à réaliser un nouveau spectacle à Munich. Dans un établissement habituellement dédié à l’opéra-comique, l’opérette et la comédie musicale, l’ouvrage d’Einem surprend beaucoup. Et sans doute est-ce une idée géniale de bousculer le public venu chercher ici un simple divertissement : l’impact s’en trouve considérablement décuplé, comme le prouve l’enthousiasme de la salle au moment des saluts.

La musique d’Einem reste trop ancrée dans la tradition à notre goût [lire nos chroniques du 28 mars et du 14 août 2018]. À la tête de l’Orchester des Staatstheaters am Gärtnerplatz, Anthony Bramall mène tambour battant la représentation, sans s’occuper du lyrisme qu’on peut pourtant deviner. Le but est l’action, toujours l’action, en oubliant que pour agir il faut l’élan, pas ce pas de charge écrasant.

La mise en scène est plus qu’intéressante. Alors que son Ring à Bastille n’était guère réussi [lire nos chroniques des 13 mars et 31 mai 2010, des 1er mars et 3 juin 2011, puis des 4 et 17 février, 29 mars et 3 juin 2013], Günter Krämer signe un coup de maître avec Dantons Tod. Il transpose l’argument de nos jours, faisant de Robespierre un leader populiste dont le costume intègre des éléments militaires à une rigidité de mormon. La rigueur du personnage, conforme au rôle comme à l’Histoire, s’oppose à la nonchalance d’un Danton dandy, ce qui correspond bien au texte où il apparait comme un jouisseur. L’angoisse est toujours présente sur ce plateau : dans la répression musclée d’une manifestation altermondialiste (vidéo de Raphael Kurig et Thomas Mahnecke), dans la colère du peuple, assoiffé de sang, puis avec la cohorte de condamnés, dans l’espace scénographique indéfini d’Herbert Schäfer, sorte d’entrepôt ou d’immense grange moderne. Mains liées, en sous-vêtements, on leur flanque la tête contre la table, prêts à la décollation. Les personnages sont d’abord vêtus, par Isabel Glathar, selon une volonté universaliste qui convoque toutes les époques, puis une nudité cruelle s’impose qui uniformise le supplice. Ces images fortes, dans la lumière brûlante de Michael Heidinger, sont atténuées par la tentative d’impliquer le public dans l’action, par des interventions dans les rangs : naïve et éculée, la méthode se révèle nuisible car elle déconcentre le spectateur sans parvenir à le concerner plus – les gens sourient, gênés, se plaçant immédiatement dans l’hors-champ du jeu alors que le regard maintenu sur la scène, si intense, aurait suffi à les y happer.

La distribution vocale est des plus louables, aussi bien pour la musique que pour le théâtre. Le soprano Mária Celeng domine le plateau par une incarnation bouleversante de Lucile Desmoulins [lire nos chroniques du 5 août 2016 et du 20 septembre 2017]. La jeune basse Christoph Seidl campe un Simon robuste, très sonore. Le baryton-basse Levente Páll donne une composition magistrale de Saint-Just. On remarque aussi Juan Carlos Falcón en vaillant Hérault de Séchelles. Le ténor brillant d’Alexandros Tsilogiannis est idéal dans le rôle de Camille Desmoulins. Robespierre est dramatiquement facile à aborder : il est le rigoriste, la main qui donne la mort. Il en va autrement de l’écriture vocale, vraiment difficile. Doté d’un ténor ambré d’un cuivre de baryton, de toute beauté, Daniel Prohaska s’en sort sans problème, grâce à une parfaite maîtrise de ses moyens. Enfin, Mathias Hausmann est un Danton puissant, poignant même, dont la voix souple suggère sensualité et générosité. N’oublions pas la très belle prestation des Chor und Extrachor des Staatstheaters am Gärtnerplatz, conduits par Felix Meybier.

HK