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Chroniques
cycle Gustav Mahler – épisode 3
Philharmonia Chorus, Chœur maîtrisien du Conservatoire de Wasquehal
Toujours selon la raison chronologique, le cycle Gustav Mahler d’Alexandre Bloch se poursuit, après les deux premiers opus en début d’année [lire nos chroniques des 2 et 28 février 2019]. Contrairement aux deux précédentes et aux Quatrième et Cinquième, régulièrement jouées par la phalange nordique – huit fois pour la Première, six pour la Cinquième et la Deuxième, onze pour la Quatrième, exclusivement sous la baguette de Jean-Claude Casadesus pour ces deux dernières –, la Symphonie en ré mineur n°3 n’a été (comme le reste des autres numéros) mise que plus parcimonieusement à l’affiche de l’Orchestre national de Lille, en l’occurrence à trois reprises sous la houlette du fondateur, en 1996, 1997 et en 2006, avec éventuellement des tournées dont purent bénéficier les Parisiens. Si l’aventure de l’intégrale fait vivre l’évolution de ce que l’on peut appeler un feuilleton symphonique, elle permet aussi de mesurer l’appropriation d’un corpus qui peut intimider, par une baguette et des pupitres de générations parfois contrastées.
Pour être un guide dans l’écoute de cette vaste fresque qu’est la Troisième, le programme narratif imaginé par Mahler lui-même, le seul qu’il ait jamais explicitement écrit, ne saurait épuiser les questions formelles que toute lecture de l’œuvre se doit d’affronter. Ainsi le mouvement augural, qui constitue à lui seul la première partie, impose un dosage subtil de la dynamique dramaturgique, pour restituer ce que l’on pourrait appeler une dialectique à tiroirs (ou à rebondissements si l’on veut être plus scénaristique) : l’inexorable transformation du rugueux motif initial vers le fourmillement bucolique et populaire du second n’est pas conduit selon la progression dramatique plus linéaire de la Résurrection – ou, plus tard, de la Cinquième. Si l’on retrouve le problème du calibrage de l’énergie sonore au fil du morceau, le foisonnement de situations invite ici des éclosions parfois prématurées, ajoutant çà et là aux forte un f passablement surnuméraire. L’entrée des percussions et la fermeté de la direction restitue, parfois au delà du nécessaire, la puissance tellurique de ce Kräftig, Entschieden (Avec force et décision) du même grain rugueux que les rochers sollicités pour la description de cet éveil de la Nature dans sa torpeur primitive, relayé par les sonorités cuivrées des trompettes. L’entrain juvénile de la baguette ne tempère pas suffisamment une précoce explosion bacchique à la deuxième reprise, avec une ivresse de décibels mieux contenue dans le cisèlement des échos de marches militaires ultérieurs, préparant l’ultime séquence vers l’achèvement de l’Aufhebung du minéral vers le pastoral.
Ces équilibres sonores sont mieux apprivoisés par les musiciens pendant la seconde partie. Le deuxième mouvement, Tempo di Menuetto, Sehr mässig (Très modérément)confirme la fluidité du rubato déjà relevé dans les précédents épisodes de l’intégrale, qui accompagne la douceur aérée de l’inspiration, parfois voilée, en son second moment, d’ambiguïté affectives balayées avec délicatesse, caressant la volatilité versatile du menuet. Le scherzo, Comodo, Scherzando, Ohne Hast (Sans hâte), qui reprend le thème d’Ablösung im Sommer, un Lied de jeunesse du Knaben Wunderhorn, prolonge cette spontanéité ductile, musardant dans quelque soli un rien mutins, sans altérer la souplesse d’un geste qui, à la fin de ce tableau chatoyant, se met à l’écoute des cors en coulisses, préludant à l’intériorité d’O Mensch, sur un texte d’Also sprach Zarathoustra de Nietzsche – Sehr langsam, Misterioso, Durschaus ppp (Très lent, Mystérieux, Tout à fait ppp).
Déjà présente dans la Deuxième Symphonie, Christianne Stotijn semble aborder la page avec un surcroît de prudence, tamisant son recueillement dans une émission presque intime. Les cloches et le chœur d’enfants d’un autre extrait des Knaben Wunderhorn Lieder, Bimm, bamm, notéLustig im Tempo und keck im Ausdruck (Dans un tempo joyeux et avec une expression impertinente), font résonner l’enthousiasme du Chœur maîtrisien du Conservatoire de Wasquehal préparé par Pascale Dieval-Wils, qui rejoint les effectifs du Philharmonia Chorus, sous la houlette de Gavin Carr, tandis que la section centrale déploie une chaleur des cordes, contrastant avec l’allégresse tintinnabulante du premier motif, que l’on retrouvera dans le final, Langsam, Ruhevoll, Empfunden (Lent, Calmement, Avec sentiment). La pureté et l’intensité de l’expression sont à peine altérées par quelques accents un peu sentimentaux dans les modulations au milieu du mouvement. Dans des transparences retrouvées, la plénitude de la péroraison conclusive évite toute rudesse rhétorique et referme un voyage attachant avec une partition éminemment exigeante. Prochain épisode, la Quatrième, le 8 juin.
GC