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Cristian Măcelaru dirige l’Orchestre national de France
Pierre Boulez, Henri Dutilleux et Igor Stravinsky
Voilà, c’est la mi-septembre, orchestres, salles de concert et maisons d’opéra font leur rentrée ! Tandis que le Festival Ensemble(s) lançait hier soir sa quatrième édition [lire notre chronique de la veille] et que l’Ensemble Intercontemporain ouvre en ce moment-même sa saison avec son nouveau chef, Pierre Bleuse [lire notre chronique du jour], l’Orchestre national de France commence à l’Auditorium de la Maison de Radio France son année musicale en présentant, lui aussi, de la musique contemporaine !
Il faut nuancer, puisqu’à trois ans de distance, les deux compositeurs dont on joue l’œuvre en première partie de soirée ne sont plus vivants, et que la seconde partie est dédiée à un grand classique du XXe siècle, s’agissant du Sacre du printemps. Le 22 mai 2013 disparut Dutilleux, à l’âge de quatre-vingt-dix-sept ans. Le 5 janvier 2016, dans sa quatre-vingt-onzième année s’éteignit Boulez. Celui-ci était né en 1925 et son aîné en 1916, ce qui veut dire que de 1925 à 2013 ils furent contemporains, devenant progressivement parmi les musiciens les plus joués de leur temps, mais aussi ceux que certains confrères un peu taquins surnommèrent à un moment donné « les deux vieux ».
Pour débuter, Cristian Măcelaru cisèle avec une adresse des plus subtiles les Notations de Pierre Boulez. Des douze pièces formant le recueil de même nom qu’il écrivit en 1945, à l’âge de vingt ans, le compositeur a orchestré les quatre premières en 1980. Daniel Barenboim a créé cette version le 18 juin 1980 à la salle Pleyel, à la tête de l’Orchestre de Paris. C’est encore lui qui fit entendre pour la première fois la Septième, écrite en 1998, au pupitre du Chicago Symphony Orchestra et à Chicago, cette fois, le 14 janvier 1999. Le dessin de Fantasque, Modéré (I) affirme la délicatesse du chef, Rythmique (IV) hérite dans sa scansion du Sacre que nous entendrons plus tard et prouve la maîtrise de Măcelaru et l’efficacité des musiciens de l’ONF, Assez lent (III) montre Boulez en orchestrateur de haut vol qui soigne magnifiquement son travail des timbres, Très vif (II) brille par la vigueur de sa conception et de l’interprétation – elle est souvent placée en fin de cycle parce qu’elle invite spontanément le public à applaudir –, enfin Hiératique (VII) chatoie dans le riche mystère de ses variations.
Le 5 novembre 1985 au Théâtre des Champs-Élysées, Lorin Maazel dirige l’ONF, précisément, dans la création mondiale de L’arbre des songes, concerto pour violon d’Henri Dutilleux, dédié au grand Isaac Stern qui œuvrait également ce soir-là et qui en gardera l’exclusivité d’exécution durant quelques années. Cette commande de Radio France, qui avait été imaginée par Voz (Pierre Vozlinsky, 1931-1994) dès 1979, articule quatre mouvements – Librement, Vif, Lent, Large et animé – liés par trois interludes. Né en Toscane il y a vingt-neuf ans (quoique d’origine allemande), Augustin Hadelich fut d’abord un enfant prodige. Après avoir été gravement blessé en 1999 lors d’un incendie qui le priva de jouer de la musique durant plus d’un an, le jeune violoniste a vite entamé une belle carrière qui l’a mené à s’exprimer aux côtés d’orchestres prestigieux avec lesquels il joue les grands concertos du répertoire mais aussi ceux, plus rares, de nos contemporains Thomas Adès, Brett Dean ou György Kurtág, et ceux de la génération qui les précéda (Ligeti, Takemitsu, Zimmermann, etc.). Ayant étudié à la Juilliard School (New York) de 2004 à 2007, il devint citoyen des USA en 2014. La sonorité flamboyante et la scotchante précision de l’intonation sont les qualités principales qui font de son interprétation du concerto de Dutilleux un très beaux moment de ce concert où chaque pupitre révèle un grand métier. Hadelich donne encore deux bis (un peu racoleurs) qu’il a lui-même arrangés : il s’agit des chansons Wild filder's rag d’Howdy Forrester et Por una cabeza, célèbre tango du Toulousain Carlos Gardel.
Après l’entracte, nous apprécions la bonne santé des musiciens de l’Orchestre national de France et la belle intelligence artistique qui caractérise leur travail avec Cristian Măcelaru dans Le sacre du printemps, partition légendaire qui fit scandale le 29 mai 1913 dans la chorégraphie de Nijinski pour les Ballets Russes de Diaghilev – Pierre Monteux était à la tête de l’Orchestre des Concerts Colonne. Sans appuyer sur la pédale musique moderne, le chef roumain rend surtout sensible le propos de l’œuvre, à savoir un rite imaginaire puisant ses sources dans une Vieille Russie idéalisée. Avec ce beau concert, la saison a bien commencé !
HK