Chroniques

par hervé könig

création du Concerto pour violoncelle de Dai Fujikura
Jan Vogler, Deutsches Sinfonieorchester Berlin, Manfred Honeck

Philharmonie, Berlin
- 10 janvier 2018
à Berlin, création du Concerto pour violoncelle de Fujikura par Jan Vogler
© ai ueda

C’est un programme mêlant époques et genres que présente Manfred Honeck à la tête du Deutsches Sinfonieorchester Berlin. Un grand classique – la Septième de Beethoven –, une première mondiale signée Fujikura et, avant tout cela, un opus que Claude Debussy concevait pour piano à quatre mains entre juillet 1914 et 1915, Six épigraphes antiques, créé par Marie Panthès et Roger Steimetz le 2 novembre 1916 à Genève, au cœur de la guerre. En début de soirée, nous l’entendons dans une version pour grand orchestre réalisée par le musicologue et compositeur nord-américain Alan Fletcher, directeur artistique de l’Aspen Music Festival and School (Colorado). Cette suite de danses et de méditations inspirées par Les chansons de Bilitis, recueil de Pierre Louÿs paru en 1894 dont Debussy avait mis en musique trois poèmes en 1898 (soprano et piano), profite ici d’une interprétation généreuse qui souligne toute la sensualité du propos.

Afin de célébrer son quarantième anniversaire en 2017, Dai Fujikura, dont l’Orchestre national d’Île-de-France créait, il y a trois semaines à peine, Ghost of Christmas [lire notre chronique du 17 décembre 2017], a prévu un Concerto pour violoncelle et ensemble, donné en fait un an avant le jour J, donc pour ses trente-neuf ans, par la soliste néerlandaise Katinka Kleijn et Karina Canellakis au pupitre de l’International Contemporary Ensemble [lire nos chroniques Kaija Saariaho, Pierre Boulez et Dai Fujikura], à New York, en septembre 2016. L’œuvre prend sa source dans une page pour violoncelle solo, osm (2015). Aujourd’hui la nouvelle version avec grand effectif est donnée par Jan Vogler aux côtés de la phalange berlinoise. Plus que de ce raffinement tout personnel qui vient souvent à l’esprit à l’écoute des pages du Japonais, sur celle-ci l’on parlera plus justement de vigueur. Un voyage fantastique emporte l’auditoire dans une écriture qui alterne deux modes d’expression : des parties très lyriques où l’instrument vedette chante comme un personnage d’opéra qui s’épancherait dans une prosodie emphatique, et des parties strictement rythmiques, presque scandées, soutenues par une tonique armada de percussions. Le concerto connaît ce soir un franc succès, et Jan Vogler livre en bis la Sarabande de la Suite en ut majeur BWV 1003, puissamment articulée.

Au retour de l’entracte, Manfred Honeck fait naître la Symphonie en la majeur Op.92 n°7 de Ludwig van Beethoven sans répondre trop littéralement à la réception attendue à laquelle tout mélomane d’une œuvre aussi connue s’est inconsciemment préparé. Conjuguant majesté et fluidité dans le Poco sostenuto, le chef autrichien surprend et, sans malmener les équilibres, affirme nettement les contrastes du Vivace et cette électricité particulière qui caractérise l’énergie beethovénienne. Après son accord péremptoire, l’Allegretto avance un pas noble mais sans lourdeur. Au recueillement intérieur succède une vraie tragédie que le second thème, chargé d’espoir, vient difficilement éclairer. La rigueur de la fugue l’emporte sur tout optimisme. Pour la fin, l’absence totale de ralenti ou de rubato invite déjà l’urgence du Scherzo, nerveux, enflammé, avec son Presto toujours plus accentué. L’Allegro con brio final met le feu au lac ! Dans une mise en place au cordeau qui ne craint rien, il triomphe haut la main.

HK