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Chroniques
création des Céphéides d’Allain Gaussin
Mauricio Kagel et Maurice Ravel par le Trio Élégiaque
Affichant cette année l’intégrale de piano du maître de La Grave – y compris une lecture de Saint François d’Assise [lire notre chronique du 5 juillet 2011] dans la réduction pour deux pianos et ondes Martenot d’Yvonne Loriod – le Festival Messiaen au pays de la Meije, sous la houlette de son directeur Gaëtan Puaud, a également passé commande à six compositeurs venus présenter leur nouvelle œuvre en ses hauteurs. Ainsi Allain Gaussin, élève de Messiaen et fidèle du festival, est-il là pour parler des Céphéides (in memoriam Pierre Boulez), partition créée en l’Église de La Grave par le Trio Élégiaque – Philippe Aïche, Virginie Constant et François Dumont. Co-commande de l’État, cette œuvre est dédiée à Marie-Françoise et Gaëtan Puaud.
Avec l’Orient qui le fascine et dont témoignent les titres de ses œuvres (Chakra, Satori, Jardin Zen…), la galaxie et les constellations constituent la deuxième source d’inspiration de Gaussin. Les Céphéides, nous dit-il, sont des étoiles géantes, plus grosses que le soleil, dont l’intensité lumineuse varie. C’est ce changement, selon des périodicités variables, que le compositeur a voulu traduire en musique, menant, comme il aime à le faire, un travail minutieux sur les textures et le mouvement activé par les processus. Ainsi son écriture toujours exigeante et risquée sollicite-t-elle de nombreux modes de jeu pour forger le timbre et la texture souhaitée, telle cette granulation fragile et scintillante des premières pages que réalisent les deux archets sur les stries légères du piano. Plus spectaculaire, au terme du premier processus d’intensification, cet éclatement de l’espace, « comme un jaillissement » note le compositeur, qui libère une gerbe d’arabesques (les figures-rubans dans le vocabulaire gaussinien) balayant l’espace avec une énergie décuplée. Plus contemplative, la partie centrale est dévolue au violoncelle empruntant une ligne ascensionnelle ornée aux huitième et douzième de ton. Le violon s’y agrège pour soutenir l’intensité de cette méditation tendue.
Attentif et concentré, le Trio Élégiaque, qui connaît bien l’acoustique du lieu puisqu’il y enregistra ses trios russes (CD Triton), fait pénétrer au centre des Céphéides qui, certes, manquent encore d’un certain éclat (la première exécution est toujours fragile) mais n’en révèlent pas moins la richesse et la singularité d’un imaginaire foisonnant.
Fort éloigné des mystères de la galaxie, le Trio en un seul mouvement de Mauricio Kagel (2002), joué avant la création des Céphéides, relève d’une toute autre esthétique. L’écriture dessine un chemin labyrinthique au fil d’actions qui s’enchaînent dans un flux quasi cinématographique : sonorités étranges, pulsations inquiétantes, suspens… Kagel aime travailler avec un matériau hétérogène au sein duquel le geste instrumental, les couleurs et la temporalité varient sans cesse. Dans ces pages où affleure la parodie, voire l’humour, les instrumentistes gardent curieusement la distance, minimisant la dimension théâtrale toujours latente chez l’auteur.
Ils s’engagent davantage dans le Trio en la mineur de Maurice Ravel (1914), chef-d’œuvre inscrit de toute évidence à leur répertoire, qui termine brillamment le concert. On admire d’emblée le toucher raffiné et le jeu solaire de François Dumont rejoint par ses deux partenaires pour donner l’élan d’un premier mouvement fort bien conduit. L’énergie circule dans l’étonnant Pantoum mené par le violon radieux de Philippe Aïche. Si la Passacaille déploie ses lignes dans un espace un rien confiné, le Final très enlevé déborde d’énergie, mettant en vedette des archets véloces.
MT