Recherche
Chroniques
concert 2 – Manoury, Rihm et Zimmermann
Peter Hirsch dirige l’Orchestre Philharmonique de Radio France
Le deuxième concert de la vingt-quatrième édition du festival Présences, dont le thème est Berlin Paris [lire notre chronique de la veille], permet de comparer l’écriture du compositeur allemand Wolfgang Rihm [photo] et celle du Français Philippe Manoury, tous deux nés en 1952, avant d’écouter la Symphonie vocale tirée de l’opéra Die Soldaten de Bernd Alois Zimmermann (mort en 1970).
Créée à l’occasion d’un cycle Brahms à Lucerne [lire notre critique du CD], la Symphonie Nähe fern compte quatre épisodes dont les deuxième et troisième sont jouées ce soir en création française par l’Orchestre Philharmonique de Radio France ; ils ont la teneur romantique de celui à qui ils rendent hommage. Sans recourir massivement à la citation des symphonies mais sans en être exempt non plus – contrairement à ce qu’assure la brochure de salle –, Rihm utilise un concept de fragmentations d’unités mélodiques proches de Brahms et les agrège avec une maîtrise et une liberté affranchies de tout dogmes contemporains. Ces pièces à la densité orchestrale du postromantisme allemand (on pense souvent au premier Schönberg ou à Reger) semblent cependant plus proche des symphonies impaires de Brahms qu’aux plus légères deuxième et quatrième, mais le flux musical permet à l’orchestre d’y développer un lyrisme bien entretenu par le chef Peter Hirsch.
D’un registre différent, Zones de turbulences pour deux pianos et orchestre de Philippe Manoury est découpé en cinq mouvements sur lesquels l’auteur s’explique brièvement. Basé sur l’« envoi de faux codes morses », le premier est un amalgame de sons issus principalement des cordes auxquels répondent les pianistes du duo GrauSchumacher par de longues mesures dont la technique de composition ressemble fortement à Sur Incises de Pierre Boulez. Le troisième mouvement est de même inspiration et rappelle, s’il est encore nécessaire, la continuité entre les compositeurs français d’aujourd’hui et les partitions de Debussy et Ravel, sans révéler pour autant de nouveauté. D’une quinzaine de secondes, le deuxième mouvement est présenté comme un « défi lancé à la Bagatelle Op.119 n°10 de Beethoven » mais s’apparente beaucoup plus à la Notation IV – Boulez, toujours – avec laquelle le parallèle est flagrant. Le suivant est construit comme une « monodie entre les deux pianos » préparant le tout à une conclusion à fortes turbulences qui n’auront pourtant pas beaucoup heurté l’auditoire. Dans un cours à la Cité de la musique Boulez expliquait que certains passages de Sur Incises doivent provoquer chez nous un réflexe de Pavlov et créer l’impression de déjà entendu ; peut-être Manoury a-t-il voulu recréer cela avec Zones de turbulences, mais alors la réflexion et le parallèle à des compositions antérieures semblent être passés avant la nécessité de composer une œuvre nouvelle.
Achevé en 1963 et réputé injouable à cause d’un effectif orchestrale jugé trop massif pour Cologne et du trop grand nombre de percussions prévues, Die Soldaten est finalement créé par Michael Gielen en 1965. Il aura donné lieu auparavant à une Symphonie vocale pour six solistes et orchestre se résumant principalement à des extraits des deux premiers actes et non à une suite pour orchestre comme nous aurions pu l’attendre. Le retour en grâce de l’opéra, à Salzbourg [lire notre chronique du 20 août 2012] puis à Zurich [lire notre chronique du 4 octobre 2013] et dans quelques semaines à Berlin et à Munich, ne laisse à la salle Pleyel qu’un avant-goût de la puissance de l’ouvrage tiré de la pièce de Jakob Lenz (1776). Elle met en avant les faiblesses d’un orchestre flou à de nombreuses reprises et souvent perdu par la battue.
Six des meilleurs solistes actuels pour ce répertoire sont ici regroupés, à commencer par le ténor Stefan Vinke – excellent Lohengrin à Berlin et marquant Alviano des Gezeichneten (Schreker) à Cologne [lire notre chronique du 27 avril 2013] –, peu en voix à l’introduction et montrant des problèmes de rythme dans le duo avec le soprano Laura Aikin [lire notre entretien], malgré une précision et une intelligence du texte. Des autres voix masculins, la basse Alfred Muff a une belle présence et nous retiendrons surtout le très engagé Stolzius du baryton Georg Nigl, en espérant l’entendre un jour dans le rôle intégral. Plus à la peine, les femmes n’inscrivent pas leurs prestations dans l’histoire de l’œuvre. Moins en forme qu’à Salzbourg, Laura Aikin peine à trouver tous les aigus, et ni Cornelia Kallisch ni Dagmar Pecková n’ont le temps de se faire remarquer dans leurs rôles de mères.
Rendons hommage à Présences d’apporter comme toujours une programmation audacieuse à l’heure où il est de mise de créer une saison pour remplir une salle, tout en regrettant que cette soirée n’ait pas proposé d’œuvre plus impérissable en ce qui concerne les créations, ni la version intégrale d’un ouvrage lyrique intemporel que nous espérons entendre bientôt à l’Opéra national de Paris.
VG