Chroniques

par bertrand bolognesi

cent ans d'Elliott Carter

Opéra national de Paris / Palais Garnier
- 28 décembre 2008
il y a quelques jours, le compositeur Elliott Carter soufflait 100 bougies !
© dr

À New York, le 11 décembre 1908, naissait un immense compositeur dont la route changerait parfois de cap : Elliott Carter, que les musiciens de l'Orchestre de l'Opéra national de Paris fêtent à travers deux concerts chambristes qu'ils lui dédient. Après Esprit Rude/Esprit Doux de 1985 et les Pieces for four Timpani écrites entre 1950 et 1966, joués le 30 novembre, ils s'attèlent cette fois au Triple Duo de 1983 et à Tempo e Tempi, cycle de huit mélodies italiennes achevé en 1999.

Afin de placer l'écoute dans une certaine perspective, ce programme est introduit par les pages d'autres musiciens de notre temps, à commencer par György Ligeti et son Trio pour cor, violon et piano conçu en 1982. De cet opus qui visite l'inflexion d'un folklore imaginaire dans une suspension brahmsienne,Vladimir Dubois au cor, Thibault Vieux au violon et Michel Dietlin au piano donnent une lecture peu inspirée, malgré certaines options judicieuses. À l'Andantino con tenerezza aux parfums bartókiens répond un Vivacissimo assez malmené. L'exécution se reprend pour la Marche, tandis que l'ultime Lamento bénéficie d'une approche plus soignée.

En 1998,Kaija Saariaho signait Cendres (flûte en sol, violoncelle et piano), dérivant les pièces d'orchestre Du cristal (1989) et À la fumée (1990) qui forment un vaste diptyque dont le titre emprunte au livre du biophysicien et philosophe Henri Atlan, Entre le cristal et la fumée (Éditions du Seuil, 1979). Distançant l'expressivité par des jeux de timbres, induisant le recul dans un halo profond, l'œuvre interroge à sa manière le temps de la perception. À la flûte, Frédéric Chatoux livre une interprétation soignée mais un peu sage.

Une clarinette, un violon, un violoncelle et un piano : c'est là l'instrumentarium imposé par les tristes circonstances que l'on sait à Olivier Messiaen lorsqu'il écrivit son Quatuor pour la fin du temps en 1941.Tōru Takemitsu s'en rappellera la sonorité dans ses Quatrains – le premier ajoute l'orchestre à l'effectif mentionné, tandis que Quatrain II s'en tient strictement à celui qu'utilisa le maître français. De fait, il lui dédiera sa pièce pour piano Rain Tree Sketch à sa disparition, reconnaissant une fois de plus la grande influence qu'eut toute l'œuvre de Messiaen sur la sienne, et le rôle particulier que prirent les œuvres pour piano de Debussy et de Messiaen dans sa propre rencontre de la culture occidentale – on approfondira avec intérêt ces questions à lire Alain Poirier (Tōru Takemitsu, Éditions Michel de Maule, 1996). Saluons l'appréciable souplesse de l'exécution deJérôme Julien-Laferrière (clarinette), Thibault Vieux (violon), Alexis Descharmes (violoncelle) et Michel Dietlin (piano), dans une respiration complice qui confronte une étrange vacuité expressive, pour ainsi dire, en dehors de son développement signifiant, une caractéristique qui inscrit fermement l'œuvre dans l'héritage asiatique.

Et Carter – enfin !
Indéniablement trop copieux, le menu du jour, qui cumule de conséquents changements de plateau à un commentaire indigent (papotage fait d’évidences et d’anecdotes, rien de plus), aurait gagné à s'en tenir à trois œuvres – voire à trois œuvres de Carter, tant qu'à lui rendre hommage. Nous le déplorions à propos de la soirée du Philharmonique [lire notre chronique du 5 décembre 2008] : le centenaire d'un compositeur vivant et toujours en activité n'est guère honoré, et s’il l'est encore faut-il trouver moyen de jouer les mêmes œuvres à quelques jours d'intervalle (Triple Duo était donné le 11 décembre par L'Itinéraire). Il est affligeant de constater le peu de concertation et de cohérence qui préside l'événement. Remercions au passage l'Ensemble Intercontemporain qui, en octobre, jouait à Paris huit œuvres chambristes ainsi qu’Asko Concerto et le Double Concerto de Carter dont il fêtait les cent ans, le jour J, avec Dialogues et le Concerto pour clarinette dirigés par Pierre Boulez… à Londres !

Tout d'abord, Tempo e Tempi, parcourant des poèmes d'Eugenio Montale, Giuseppe Ungaretti et Salvatore Quasimodo, cycle créé à Londres au printemps 2000. Cette œuvre d'une dizaine d'années est dirigée par Renaud Déjardin dont on apprécie l'extrême précision et l'équilibre remarquable que génère son geste. D'une voix infiniment colorée, à l'aigu éclatant, le jeune soprano Marie-Adeline Henry captive d’emblée l'écoute. Plongé dans le souvenir sériel de Carter, le public se laisse bientôt fasciner par le duo (mélodie III) avec le hautbois (Olivier Rousset), une phrase plus diaphane à la clarinette (IV), l'impérieux solo de violon (VI) et la fougue du violoncelle (VII). Tour à tour frémissement, vigueur ou extase, Tempo e Tempi ne saurait laisser indifférent. Avec les précieux concours de Christophe Vella aux percussions et de Bruno Martinez à la clarinette basse, Triple Duo (violon, violoncelle, flûte, clarinette, piano et percussion), créé au printemps 1983 par The Fires of London, conclut idéalement la soirée de sa belle vivacité.

BB