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Chroniques
carte blanche à Martha Argerich
œuvres de Bartók, Beethoven, Ravel, Schubert et Schumann
Sous un Grand Combin en manteau d'hiver, soit fraîchement saupoudré, nous retrouvons le festival valaisan qui, jusqu'au 5 août et depuis le 20 juillet, fait la joie des mélomanes. Ce soir, Martha Argerich, grande habituée de ses programmations, reçoit sous la toile quelques-uns de ses amis pour un moment chambriste qui s'inscrit dans la droite ligne du Progetto désormais fameux.
Largement romantique, le menu commence par l'âge classique, soit Beethoven et son Trio « Des esprits » en ré majeur Op.70 n°1 que sert, dès l'Allegro vivace, une tonicité intrinsèque et non démonstrative, dans une dynamique sainement inventive. Le Largo central est amorcé par la méditation désertique du violon de Julian Rachlin, le piano portant alors loin le legato, avant la mélodie plaintive du violoncelle de Micha Maïski. Dans un mezzo piano savamment entretenu, on observe le contrôle scrupuleux des équilibres, par-delà des accents plus cinglants. Quoiqu'accusant de légers soucis de justesse, Maïski chante désespérément le Presto, tandis que des contrastes nouveaux s'affirment, sans déroger à la retenue initiale qui évite toute exaltation. Les artistes signent une interprétation au style pertinent dont surprend discrètement la saveur.
Dans une sonorité remarquablement soyeuse, Martha Argerich livre des Kinderszenen Op.15 intériorisées que des épisodes plus fermes et des séquences manifestement féroces rehaussent çà et là. En général, on saluera la qualité de la frappe, toujours moelleuse, la riche variété des demi-teintes et le recueillement ultime de Der Dichter spricht. Après Schumann en solitaire, l'artiste partage son clavier avec Lang Lang pour un Grand Rondeau (à quatre mains) en la majeur D951 de Schubert qui ne convainc pas [photo]. Certes, le virtuose chinois obtient de l'aigu du Steinway une tendresse rare, ce qui est notable, mais le duo ne respire pas. Après un délicieux pianissimo final, ils échangent leur place pour donner Ma mère l'Oye de Ravel. Charmante et suave Pavane de la Belle au bois dormant, souple articulation et sonorité humide du Petit Poucet, peinture précieuse pour Laideronette, non dépourvue d'un rien d'affectation, les choses se gâtent avec les curieux aléas que subit la valse suivante – Les entretiens de la Belle et de la Bête –, à force de manières ; l'exaltation amoureuse se révèle néanmoins bien menée, jusqu'à l'extrême délicatesse des derniers pas. En revanche, Le jardin féérique demeure brouillon.
Retour à Schubert avec Iouri Baschmet et la Sonate en la mineur pour arpeggione D821. Grâce à une véritable écoute mutuelle, les musiciens comblent le public d’un Allegro moderato équilibré. Mais si l'Allegretto final demeure prudent, le mouvement central se trouve savonné. De fait, la fin de ce raout déçoit, avec une Sonate pour violon et piano en ut # mineur Sz.75 n°1 de Bartók rendue terne par l'acoustique ingrate du chapiteau, lorsqu'il est utilisée pour la musique de chambre plutôt qu'avec orchestre, une acoustique qui dévore au point de la rendre étroite la sonorité de Renaud Capuçon, bientôt submergée par l'opulence percussive du piano. Du coup, la lecture reste anecdotique.
BB