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Chroniques
Boulez, le piano en résonnance
récital Paavali Jumppanen
Il y a des soirs où l’on se félicite d’assister à un concert attendu mais d’où l’on ressort mi-figue mi-raisin. Tel fut le cas du récital de Paavali Jumppanen, dans le cadre du Festival Messiaen au Pays de la Meije. Précédé d’une réputation d’interprète puissant, inspiré et doué d’une infinie palette de couleurs, le pianiste finlandais aura en partie déçu. Il faut convenir qu’il avait à jouer deux immenses partitions pour clavier, deux œuvres intimement liées à un siècle et demi de distance, les partitions pour piano les plus développées de chacun des compositeurs : la Deuxième Sonate de Pierre Boulez et la Sonate Op.106 n° 29 « Hammerklavier » de Ludwig van Beethoven. Deux monstres que l’on pourrait qualifier d’indissociables, tant ils ont la même immensité, autant d’un point de vue structurel que sonore, tandis que des pianistes comme Claude Helffer et Charles Rosen les ont souvent programmés ensemble.
En 2005, Jumppanen a gravé pour Deutsche Grammophon l’intégrale la plus moderne, la plus significative des trois sonates de Boulez [lire notre critique du CD], à l’occasion des quatre-vingts ans du compositeur. Donnée en l’absence de ce dernier, parti à Briançon diriger les répétitions du concert de demain, la Sonate n°2 confirme les affinités du pianiste avec l’univers du jeune Boulez. En effet, Jumppanen [lire notre chronique du 9 juin 2004] brosse de l’œuvre grandiose une lecture vif-argent, à la fois énergique et nuancée, riche en contrastes et en résonances qu’il laisse s’épanouir dans leur plénitude sensorielle, mettant en exergue les strates et la multiplicité des voix, ne relâchant jamais les tensions tout en ménageant de grands espaces d’onirisme. Il est regrettable que le piano ne tienne pas l’accord, trahissant le musicien qui, pour autant, ne relâche pas sa concentration.
C’est la Hammerklavier qui souffre le plus des défaillances du Steinway - en l’absence de l’accordeur, il ne sera pas réglé durant l’entracte. Si bien qu’au fur et à mesure des quarante-cinq minutes de la sonate de Beethoven, l’écoute en devient toujours plus difficile. Et l’on se surprend à trouver insupportable ce qui séduisait dans la sonate de Boulez, cet art raffiné de la résonnance dont Jumppanen nous a précédemment gratifiés, et qui, cette fois, apparaît un brin systématique, ajouté à un rubato excessif dans l’Adagio sostenuto et une Fuga a tre voci un rien brouillon.
En ouverture de programme, deux des pages de la dernière période créatrice de Franz Liszt. La Bagatelle sans tonalité (1885), originellement prévue comme Quatrième Méphisto-Valse, n’est pas atonale au sens schönbergien du terme, mais d’essence hyperchromatique, dans le sens de ce que le contemporain de Liszt, Fétis, évoquait comme omnitonique. Le pianiste finlandais en souligne le caractère de valse, la rapprochant aussi de l’univers de Messiaen dont le piano doit tant au Hongrois et qui, une fois n’est pas coutume, est absent de ce programme. Seconde page de Liszt, Nuages gris (1881), plus courte, techniquement plus simple que la précédente et à l’écriture modale, dont Jumppanen sert le climat sombre et morbide, ménageant un contraste subtil avec la lumineuse sensualité du premier mouvement de la Sonate de Boulez à suivre ce diptyque.
BS