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Chroniques
Bernd Alois Zimmermann
Photoptosis – Requiem für einen jungen Dichter
Avec le printemps nous arrivent des fleurs nouvelles, celles du festival de l’Ircam, autrefois dénommé Agora et, depuis quelques saisons, appelé ManiFeste. Mais avant de défendre la création, la manifestation annuelle s’ouvre ce soir par une musique déjà ancienne qui continue de fasciner : celle de Bernd Alois Zimmermann à laquelle tout le programme de ce concert est consacré. Pour ce faire, ManiFeste s’associe à la Biennale d’Art Vocal qui en ce moment occupe la Philharmonie de Nouvel, avec le soutien du Goethe Institut et du Fonds franco-allemand pour la musique contemporaine (Impuls neue Musik).
Impressionnant, le déploiement du SWR Sinfonieorchester sur le plateau pourtant vaste des lieux ! La soirée commence par Photoptosis, œuvre de 1968 donnée pour la première fois le 14 février 1969 à Gelsenkirchen, ville commanditaire de cette pièce qui trouva son inspiration dans les deux fresques monumentales monochromes qu’Yves Klein peignit en son Musiktheater (1957/59). Le chef (et compositeur) Michel Tabachnik suspend le souffle dès les premiers temps de ce prélude relativement agressif, puis tente en vain de faire entendre le complexe entrelacs de citations dans cette acoustique confusionnante – c’est à peine si Parsifal surgit tout de même. Les forces de l’orchestre allemand et le métier de Tabachnik ne sont pas en cause, seule la réverbération trop abondante de la grande salle, où les métallophones sonnent comme une forge infernale en masquant l’ultime volière de cuivres. De fait, l’assemblée semble plutôt dubitative après cette douzaine de minutes d’indiscernable…
Quelques mois plus tard était créé à Düsseldorf, sous la battue de l’excellent Michael Gielen, le Requiem für einen jungen Dichterpour récitants, baryton, soprano, trois chœurs, orgue, combo-jazz, électronique et grand orchestre, résultat d’un projet imaginé au cœur des années cinquante. Le catholique Zimmermann, d’ailleurs ami de l’écrivain Heinrich Böll, de même culture et également imprégné de doutes quant à l’Allemagne d’après-guerre et la construction d’une Europe viable alors même que sa séparation en blocs est-ouest entrave tous les idéaux, puise dans l’Ecclésiaste, dans la poésie de Vladimir Maïakovski, de Sergueï Essenine, Ezra Pound, Kurt Schwitters, Sándor Weöres ou Konrad Bayer, mais utilise encore des fragments de discours politiques de Dubček (1968), de Staline (1941), Nagy (1956), Papandréou (1967), Goebbels (1943) et même Hitler (1939) quand ce ne sont des extraits d’une allocution de Jean XXIII (2 février 1963, Vatican II) ou de textes de Joyce ou Mao, etc. De même cette heure de musique convoque plusieurs « ombres », directement ou par le biais de la bande magnétique, signées Wagner (grande présence de la Liebestod de Tristan…), Milhaud ou Messiaen, jusqu’à Hey Jude,célèbre « tube » des Beatles diffusé sur toutes les ondes à l’été 1968.
Il était indéniablement important de rejouer ce Requiem comme le témoin d’une certaine manière d’inventer la musique à une époque trouble, diversement de celle que l’on vit actuellement ; la chose fera réfléchir, espérons-le… sauf à regarder en arrière pour le plaisir de regarder en arrière ! Car si guette quelque nostalgie soixante-huitarde, voilà l’auditoire définitivement perdu dans la carte postale vintage, ce petit pincement rétro qui toujours se vend très bien tout en donnant bonne conscience. Est-ce encore l’acoustique de la Philharmonie qui empêche cette exécution de faire sens ? Peut-être. « The movement you need is on your shoulder… » dit la chanson – de là à se retourner inlassablement ! Gageons qu’à cette ouverture passéiste succèdera un ManiFeste plus novateur.
HK