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Chroniques
Beethoven, Schönberg et Schubert par Tobias Moretti,
Michael Schöch et huit musiciens de la Staatskapelle Dresden
La lourde responsabilité d’assumer tous les rendez-vous de l’Osterfestspiele Salzburg – à l’exception de l’opéra contemporain : l’an dernier, Satiricon de Maderna que défendait l’Österreichisches Ensemble für Neue Musik (ŒNM) [lire notre chronique du 31 mars 2018], et Thérèse, cette fois, donnée en création mondiale par le Philharmonisches Staatsorchester Hamburg [lire notre chronique de l’avant-veille] – incombe à la Staatskapelle Dresden, densément mise à contribution depuis la soirée d’ouverture de cette édition [lire nos chroniques des 13, 14 et 15 avril 2019]. De même qu’à la Pâques précédente ils servaient magnifiquement le programme Goubaïdoulina et Schubert, au Mozarteum [lire notre chronique du 1er avril 2018], quelques musiciens de l’illustre formation saxonne retrouvent cet après-midi les ors de l’institution de la Schwarzstraße.
Pour commencer, les violonistes Matthias Wollong et Jörg Faßmann, l’altiste Sebastian Herberg et le violoncelliste Norbert Anger donnent le Quartettsatz en ut mineur D.703 dont Franz Schubert n’acheva que le premier mouvement, en 1820. Cet Allegro assai débute aujourd’hui dans un frémissement fiévreux dont l’expressive raucité se colore de ces oxydations volontiers convoquées par la musique de Janáček, entre autres modernes. Fort contrastée, l’élégie décline un climat mi-figue mi-raisin à l’accentuation assez musclée.
Durant les deux dernières décennies de sa vie, Arnold Schönberg, exilé aux États-Unis depuis l’avènement du nazisme et les pernicieux honneurs faits par l’exposition entartete Musik de Düsseldorf, ressentit vivement la nécessité, amorcée avec l’écriture de l’opéra Moses und Aron dès 1930, de distinguer son œuvre par l’engagement politique, comme en témoigne Un survivant de Varsovie Op.46 (1947). Au printemps 1942, le conflit mondial battant son plein, le compositeur s’attelle aux vers satiriques de George Byron, conçus à la suite de l’abdication sans condition de Napoléon, le 11 avril 1814 à Fontainebleau – le dictateur allemand disparaîtrait sans renoncer publiquement, quant à lui, laissant ce soin à ses chefs d’armée. En dix-neuf strophes volontiers féroces, l’Ode à Napoléon Bonaparte Op.41 (pour voix, piano et quatuor à cordes) s’appuie sur un Sprechgesang fort maîtrisé, tandis que la partie instrumentale, âpre et véhémente, est construite sur un motif sériel rigoureux, quoique parfois traité avec lyrisme – le jeune Luigi Nono l’utiliserait en 1950 dans son fameux hommage, Variazioni canoniche sulla serie dell’Op.41 [lire notre chronique du 20 janvier 2007]. Urgence, violence, décision et grand relief caractérisent la présente interprétation. Au piano, Michael Schöch s’associe au quatuor. Il use d’une sonorité ronde qui manie strictement la nuance. De même le comédien Tobias Moretti, auquel est confiée la partie de récitant, signe-t-il une approche intensément théâtrale. Son dire frotte, percute, torture et ricoche, discours terrifiant qui s’élève dans une aura musicale impressionnante. Nul répit, l’exécution est haletante, brutale – on est crucifié à son fauteuil, comme il se doit.
Après un bref entracte, Matthias Wollong (violon), Sebastian Herberg (alto) et Norbert Anger (violoncelle) sont rejoints par Andreas Wylezol (contrebasse), Robert Langbein (cor), Joachim Hans (basson) et Wolfram Große (clarinette) pour jouer le Septuor en mi bémol majeur pour cordes et vents Op.20 que Ludwig van Beethoven, point encore trentenaire, dédiait à l’impératrice Marie-Thérèse d'Autriche aux premiers jours du XIXe siècle. Passée l’introduction en moite Adagio, l’épisode liminaire de ce quasi divertimento s’élève en un Allegro que l’on dira ludique, tant les solistes semblent clairement s’amuser dans ce souvenir mozartien dont on apprécie grandement la grâce naturelle, dénuée d’affèterie. Une tendre et chaleureuse mélopée de clarinette entame l’Adagio cantabile, ponctuée par un motif de cor ; elle est bientôt relayée par le violon, dans une sonorité précieusement désuète, de toute beauté. Des échanges minutieusement soignés magnifient cette page où la couleur particulière du basson prend valeur d’épice. Le mouvement se conclut dans une touffeur bonhomme que rehausse le grain de la contrebasse. Au très bref Minuetto un rien cavalier succède un Andante typiquement beethovénien, Tema con variazioni à l’élégance à peine goguenarde explorant bientôt divers climats au fil du traitement renouvelé du thème. Survient un court Scherzo, presque di caccia, où brille un solo très raffiné du violoncelle, splendidement servi par Norbert Anger qui « ouvre la tête ». Deux phases marquent l’ultime chapitre : d’abord l’Andante con moto alla marcia à l’amble grave et funèbre, puis le Presto jubilatoire, efficacement enlevé par un violon fort orné (Matthias Wollong) et robustement ancré dans les inserts nuancés du cor (Robert Langbein).
BB