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Chroniques
BBC National Orchestra of Wales
Bertrand Chamayou et Thomas Søndergård
Quitte à filer en Angleterre afin de découvrir L’ange de Nisida de Donizetti, donné en première mondiale avant-hier [lire notre chronique du 18 juillet 2018], restons-y quelques jours pour retrouver les Proms dont la présente édition rend hommage aux femmes musiciennes, une fois n’est pas coutume ! Ce soir, le chef danois Thomas Søndergård dirige un programme amplement féminin, directement par deux des œuvres inscrites, et indirectement pour les deux autres, écrites par des hommes sous influence ou c’est tout comme, s’agissant de Schumann qui doit beaucoup à Clara, ou à Mendelssohn qui doit autant à Fanny.
D’abord conçu pour violon (ou flûte) et piano en 1917, D'un matin de printemps fut orchestré par son auteure, Lili Boulanger, dans les premiers jours de l’année suivante. À la tête du BBC National Orchestra of Wales, Søndergård en donne une lecture d’abord enlevée qui ne fait pourtant pas l’impasse de délicieuses délicatesses de timbre dans le passage plus mystérieux. Le style est très proche de Debussy. La danse revient en triomphe, pour finir. Pensé dans la même métrique, D’un soir triste existe lui aussi d’abord pour trio avec piano, avant l’orchestration de 1918. Tout en partageant le même motif mélodique, il commence par une procession douloureuse, sans pathos mais prenante. Un lyrisme tragique s’y développe, qu’on peut penser venu de la maladie (Lili s’éteindra le 15 mars) mais aussi de la guerre. Les bois de l’orchestre gallois rendent compte de son raffinement.
Lorsqu’il crée son Concerto pour piano et orchestre en sol mineur Op.25 n°1 à Munich, Felix Mendelssohn est lui aussi dans la vingtaine. La fougue du Molto allegro con fuoco est aussi bien porté par le chef que par le soliste, notre Bertrand Chamayou [lire nos chroniques des 8 et 15 janvier 2017, du 23 juillet 2016, du 12 octobre 2014 et du 21 décembre 2011]. La précision extraordinaire de la vélocité sur le clavier impressionne beaucoup. Dans l’Andante, le pianiste chante une méditation intérieure dont il transmet le romantisme. Les cuivres lancent enfin le Presto final, d’abord dans l’énergie de Beethoven puis dans une danse légère, admirable pour la virtuosité, mais musicalement pauvrette.
Après l’entracte, retour dans l’incroyable cirque victorien de Kensington où Thomas Søndergård joue maintenant une musicienne qui partageavec ceux de la première partie le fait d’avoir quitté jeune notre monde. Mezzo-soprano et pianiste, la Galloise Morfydd Llwyn Owen (1891-1918) est encore inconnue du public français. Elle fut une enfant extrêmement douée, qui publia sa première œuvre à l’âge dix-huit ans, après avoir tenu, quand elle en avait à peine seize, la partie soliste du Concerto en la mineur Op.16 de Grieg avec succès. Étudiante à Londres, elle s’est beaucoup impliquée dans le cercle culturel de la communauté galloise. Le folklore de son pays habite d’ailleurs sa production, avec de nombreuses transcriptions de chansons. Personnalité passionnante qui écrivit plus de deux cents opus en dix ans d’activité, femme brillante et très belle, elle acquit l’amitié des intellectuels russes en exil et des poètes anglais. Elle envisageait un voyage d’étude en Scandinavie et en Russie, pour approfondir son goût ethnomusicologue, mais la Grande Guerre vint tout empêcher. Pendant le conflit mondial, elle rencontre son compatriote le docteur Ernest Jones, fondateur de la London Psychoanalytical Society, connu plus tard comme biographe de Sigmund Freud (1955). C’est un coup de foudre, ils se marient en février 1917. En été 1918, durant des vacances à la mer, une appendicite aiguë surprend la compositrice. Les mauvaises conditions dues à la guerre sont à l’origine des suites tragiques de l’opération sur une patiente alors enceinte. Elle meurt le 7 septembre, quelques semaines avant son vingt-septième anniversaire.
Quelle chance de pouvoir entendre son Nocturne en ré bémol majeur de 1913 ! Une mélopée de clarinette solo commence, sur des pizzicati pleins des contrebasses. Les cordes reprennent ce motif obsédant, orné parflûtes et hautbois. Cette calme introduction, peut-être influencée par Dukas, voire par Debussy, donne naissance à un autre thème, au lyrisme postromantique, qui développe à la manière de Wagner. L’interprétation gagne alors une emphase exaltée, captivante, conclue par l’alto solo. Une deuxième partie s’enchaîne, flûte, hautbois et harpe dans une danse primesautière. La surprise, c’est le retour des deux mélodies ! Après une ferme section de cuivres, les bassons ferment l’œuvre, sur les flots de la harpe. Voilà un bien beau nocturne.
L’exception de la soirée est la Symphonie en ré mineur Op.120 n°4 de Robert Schumann, puisqu’elle n’est pas l’œuvre d’un tout jeune créateur. Plutôt que d’en donner la version remaniée de 1851, Søndergård joue la version originale de 1841, dite version de Leipzig (en opposition avec celle dite de Düsseldorf). La force beethovénienne de l’Allegro d’ouverture avait bien de quoi intéresser Brahms ! Ici, elle est accentuée avec puissance. L’élégance de la Romanza (Andante) est vraiment réussie, avec son Lied de violoncelle, si tendre. La clarté du Scherzo est plaisante. Alors s’élève l’imposant Largo, transition sans lourdeur vers l’Allegro vivace final dont le chef cisèle avec soin la courte fugue. Bravo pour les tempi rapides qui donnent un caractère emporté à cette interprétation excitante !
KO