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atelier réalisation informatique musicale
Bedrossian, Boulez, Chin, Neuwirth, Parra et Stroppa
Présenté gratuitement dans un Studio 5 trop petit pour faire face à la demande, ce concert de l’atelier réalisation informatique musicale réunit de nombreux participants, et en premier lieu de jeunes interprètes (entre vingt-cinq et trente ans, pour la plupart), issus des Lucerne Festival Academy Orchestra et CNSMD de Paris, qu’encadrent Carlo Laurenzi [photo], Grégoire Lorieux et des membres bien connus de l’Ensemble Intercontemporain – Emmanuelle Ophèle, Alain Damiens, Pascal Gallois et Clément Saunier pour les vents, Jeanne-Marie Conquer et Éric-Maria Couturier pour les cordes. Musique mixte oblige, des ingénieurs du son sont également présents, ainsi que des réalisateurs en informatique musicale, stagiaires au même titre que les instrumentistes et, pour certains, pourvus d’une pratique instrumentale et/ou compositionnelle.
La première partie du programme réunit la violoniste Malika Yessetova et Francesco Abbrescia, le trompettiste Oscar Martin et Laura Endres, ainsi que la violoncelliste Daniela Shemer et Benjamin Lévy. Conçu par Unsuk Chin, Double bind ? (2007) revient à une association déjà explorée dans Spectres-speculaires (2000), avec plusieurs objectifs : offrir un aperçu de la vie intérieure des sons, un enchevêtrement ludique des limites être nature et artifice, ainsi qu’« un regard fabulé, manipulé, altéré de la relation entre le musicien et l’instrument ». Les différentes approches de ce dernier vont du plus convenu (pizz’, sul ponticello, etc.) au plus original (lissage de la corde avec les doigts, secousses de la caisse de résonnance, mouvement pendulaire, etc.), offrant une grande richesse créative. En comparaison, Addio… sognado (2009) fait piètre figure, où Olga Neuwirth livre un lamento pour westerns new age. Heureusement, Tentatives de réalité (2007) ramène à nous le foisonnement, dans le fond (âpreté de la corde, aigu vif-argent, etc.) comme dans la forme (douceur fanfaronne, lyrisme, élégie, etc., par touches assez restreintes). Mais cette approche par Hèctor Parra d’une condition temporelle qui donne corps à la musique finit par s’éterniser, sans jamais passionner, à l’instar du récent Te craindre en ton absence [lire notre chronique 5 mars 2014].
La seconde partie invite les clarinettistes Rozenn Le Trionnaire et Chiaki Tsunaba à collaborer avec Alberto Carretero, le bassoniste Miguel Ángel Pérez Domingo et Dominik Streicher, ainsi que la flûtiste Szu-yu Chen et Alessandro Ratoci. Entendue depuis sa création florentine par un saxophone (2001) ou bien une flûte (2002), Dialogue de l’ombre double (1985) est un classique boulézien dont on ne cesse de goûter l’équilibre entre virtuosité, énergie et sensualité. Transmission (2002) lui fait suite, qui inaugurait les recherches électroniques de Franck Bedrossian – notamment avec la voix : Lamento (2007), Epigram I (2010) et le tout récent Epigram II [lire notre chronique du 20 juin 2014]. Associé à un arrière-plan touffu, le basson s’y montre volubile et chatoyant, juste avant la dernière œuvre de la soirée : Little i (1996) de Marco Stroppa [lire la présentation de l’œuvre par le compositeur dans notre chronique du 14 janvier 2005]. Les cinq portions obligent la flûtiste à passer d’un pupitre à l’autre, où différents instruments l’attendent (flûte en sol, piccolo, etc.). Souffles délicats, gazouillis ou slap saccadés se succèdent, qui mettent à l’épreuve sa technique, tandis qu’une « électronique de chambre » assez discrète séduit en invoquant chute et vertige.
Une nouvelle fois, ce concert est pour les intermittents l’occasion d’adresser un mot au public, via un texte remis à chacun. Pour son festival et son académie ManiFeste, l’Ircam a recours à des artistes et techniciens temporaires qui ont décidé de ne pas faire grève malgré les menaces qui pèsent sur leur avenir et, donc, sur celui de la culture, entraînée « vers un modèle mercantile et uniforme ».
LB