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Atelier de composition II
Araujo de Almeida, Iturregi, Li, Pauvert, Roth et Yoshida
Troisième soirée avec les jeunes gens de l’Ensemble NEXT [lire notre chronique du 16 septembre 2023], à l’occasion du second rendez-vous de la saison avec les compositeurs du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse (CNSMD) de Paris, in loco. Sur le même modèle, cet Atelier de composition donne à entendre six œuvres en première mondiale, toutes conçues par des élèves des classes de composition de Frédéric Durieux, Stefano Gervasoni et Gérard Pesson. Sur notre propre modèle, tel qu’énoncé dans ces colonnes en mars dernier [lire notre chronique du 22 mars 2024], la présente chronique informe de l’événement et rend compte d’une écoute plutôt qu’on ne s’y attelle à quelque exercice critique, respectant ainsi le cadre encore pédagogique qui demeure celui de la rencontre. Cette soirée rend hommage à l’acousticien Albert Yaying Xu, disparu le 6 décembre 2023 à l’âge de quatre-vingt-neuf ans. D’origine chinoise, ce sorcier du son fut convié à l’Ircam en 1979 puis intervint avec divers architectes sur de nombreux projets en France, tels l’Arsenal de Metz, le Corum de Montpellier, l’Auditorium de Bordeaux, la Maison de la Culture du Japon (Paris), La Grange au Lac (Évian) et, tout à côté de l’Espace Maurice Fleuret où nous nous trouvons, la Cité de la musique qui fêtera ses trente ans en janvier prochain.
Six instrumentistes de NEXT prennent place sur le plateau – le flûtiste Andrea Vecchiato, la clarinettiste Rina Maezawa, le percussionniste Alessandro Rinaudo, l’accordéoniste Julia Sinoimeri, le contrebassiste Vincent Alves De Palma d’Elia et la pianiste Nanami Okuda – pour créer Elurra bezain isil, titre que Mikel Iturregi, né en 1997 à Sopela sur la côte basque de l’Espagne, emprunte à son compatriote Sarri (Joseba Sarrionandia), homme de lettres né en 1958 à Iurreta, une quarantaine de kilomètre au sud-est, dans la vallée de l’Ibaizábal. Après avoir étudié auprès de Gabriel Erkoreka et de Ramon Lazkano à Donostia, Mikel Iturregi a rejoint le CNSMD en 2021 où il aura pour maîtres Grégoire Lorieux, Yan Maresz, Luis Naón et Gérard Pesson. « Ma pièce est formée d’un vocabulaire restreint, permutant avec insistance quelques éléments comme pour chercher de nouveaux éclairages sur un même objet », précise-t-il (brochure de salle) ; « l’obsession centrée sur cet objet le mène à son propre épuisement ». Cette pièce, dont la traduction du titre serait Silencieux comme la neige, plonge l’écoute dans le monde flottant d’un en-deçà du son, remarquablement inventif, dont les timbres, qu’on pourrait dire intimidés comme le piano dont la préparation évoque un instrument-jouet,brouillent savamment les repères de perception. Les successives invasions rythmiques articulent une aura rituelle, parfois campanaire, qui demeure secrète.
Passé cette pièce d’une dizaine de minutes, nous abordons Tordre la mémoire des murs (flûte, clarinette, saxophone, percussion, accordéon, violon, violoncelle et contrebasse) du Charentais Clément Pauvert (né on-ne-sait-quand, grande année !...), élève du compositeur Jean-Luc Hervé au CRR de Boulogne-Billancourt, puis, depuis 2021, du CNSMD où il suit d’abord le cursus musicologie et analyse, puis la classe de Frédéric Durieux ainsi que celles de nouvelles technologies (Lorieux, Maresz et Naón). « Il y a quelque chose ici que l’on aimerait toujours garder caché (c’est ce qui précède) », annonce-t-il (même source) ; « il s’agit d’abstraire ce qui précède dans la couleur et l’enfouir sous le sens ». Le geste tonique, répété, qui ouvre l’œuvre trouve un écho quasiment vocal. Rina Maezawa a cédé place à Takahiro Katayama, aux côtés du saxophoniste Alessandro Malagnino, Hinata Taguchi (violon) et Yi Zhou (violoncelle), les autres pupitres étant tenus par les artistes déjà cités. Le voyage se conclut dans une coda dont la raison d’être tient sans doute en une volonté de contredire le geste augural entendu près de onze minutes plus tôt.
Né à Paris en 1997, Félix Roth est un corniste et compositeur qui, lui aussi, aborda son art auprès d’Hervé, puis de Durieux, tout en se formant aux nouvelles technologies. « C’est à partir d’un aller-retour entre analyses de sons inharmoniques et expérimentations qu’est née cette partition. Elle part aussi d’un rêve : comment reproduire musicalement cette sensation si particulière que l’on éprouve à la vue d’une mer tempétueuse. » Toujours sous la direction de l’excellent Guillaume Bourgogne [lire nos chroniques du 24 novembre 2007, du 16 février 2014, des 11 juin et 14 décembre 2017, du 3 février 2021 et du 12 mars 2022, ainsi que du CD Portulan], Hinata Taguchi ayant donné son siège à Cassandra Teissèdre (violon) et Alessandro Malagnino à Miho Kiyokawa (saxophone), accueillant l’altiste Sengyun Kim, nous découvrons La barque – le ressac (flûte, saxophone, percussion, accordéon, violon, alto, violoncelle et contrebasse) et ses méandres spectraux (environ huit minutes).
Tour à tour élève de l’Université des arts d’Aichi dont elle est diplômée en composition, de la Haute École des Arts du Rhin (Strasbourg) où ses maîtres furent Daniel D’Adamo et Tom Mays, la Japonaise Suiha Yoshida, née en 1994, intègre la classe de Durieux et celles de nouvelles technologies, au CNSMD en 2023. Andrea Vecchiato, Takahiro Katayama, Miho Kiyokawa, Alessandro Rinaudo, Nanami Okuda, Julia Sinoimeri, Hinata Taguchi et Vincent Alves De Palma D’Elia donnent ici naissance à Éclats dans le ciel (flûte, clarinette, saxophone, percussion, piano, accordéon, violon et violoncelle), sous la battue de Guillaume Bourgogne. « En regardant une vidéo d’un feu d’artifice, j’ai été impressionnée par le déroulement et les différentes étapes durant lesquelles les boules de feu montent dans le ciel, éclatent et se désagrègent. Les couleurs, les formes et la durée des différentes fusées m’ont inspirée ». D’emblée s’impose la maîtrise compositionnelle, avec une énergie constante et inquiète, remarquablement nuancée, qui tire profit de nombreux effets.
À cette redoutable efficacité succède La tranquillité trépidante (flûte, clarinette, percussion, piano, violon, violoncelle et contrebasse) d’Yuhang Li. Né en 2000, l’artiste chinois s’est distingué fort jeune en tant que pianiste. Compositeur, il fut élève de Stratis Minakakis et de Davide Ianni, avant d’intégrer, à l’automne dernier, la classe de Stefano Gervasoni. Sa pièce impose une personnalité singulière qui saille positivement dans le concert, par-delà l’extrême discrétion par laquelle son style prend place. « Dans un état de nostalgie, chaque impulsion s’estompe, se déguise sous un sentiment de sérénité, tentant de s’évader dans un passé imaginaire » : si nous avons livré quelques extraits des notes d’intention des quatre autres compositeurs, en cette unique phrase consiste celle d’Yuhang Li dont l’opus concentre en douze minutes une emphase a contrario, rigoureusement contenue entre pianississimo et mezzo piano. De Só pensava era nele de Guilherme Araujo de Almeida, qui s’inspire d’une phrase de l’écrivain brésilien João Guimarães Rosa (1908-1967) puisé dans son Grande Sertão: Veredas(1956), nous n’avons rien d’autre à conter que notre admiration confirmée pour Clara Barbier Serrano dont la technique vocale se joue de tous les obstacles [lire notre chronique du 13 septembre 2023].
BB