Chroniques

par bertrand bolognesi

Atelier de composition I
Chambon, Defromont, Gran i Romero, Jamar, Önder et Onoda

Clara Barbier Serrano, Marie Ranvier, Ensemble NEXT, Franck Ollu
Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse, Paris
- 22 mars 2024
 Atelier de composition au CNSMD de Paris, par l'ensemble NEXT
© dr

À la fin de l’été dernier, nous découvrions NEXT lors du Festival Ensemble(s) présenté au Théâtre L’Échangeur (Bagnolet). NEXT réunit des jeunes musiciens de troisième cycle du CNSMD de Paris qui, après qu’on les apprécia dans des pages de Georges Aperghis, de Manon Lepauvre et de Rebecca Saunders [lire notre chronique du 16 septembre 2023], donnent ce soir, en l’Espace Maurice Fleuret, six créations mondiales, écrites par autant de compositeurs actuellement en formation dans ces murs. Chef bien connu de tous ceux de nos contemporains qui écoutent la musique de leur temps, Franck Ollu [lire nos chroniques du 6 octobre 2010, du 8 juillet 2011, des 16 février, 22 avril et 13 juillet 2014, du 5 juillet 2017, des 19 janvier et 19 octobre 2018, du 7 février 2019 et du 6 mai 2022] dirige ce premier des deux Atelier de composition, le second ayant lieu ici-même le 26 avril, sous la battue de Guillaume Bourgogne.

Suivre ce type de concert, c’est peut-être tenter de sonder ce qui anime les jeunes compositeurs, à travers leurs œuvres. En rien il ne s’agit de prétendre s’en tenir à cette seule approche : les artistes sont ceux du conservatoire parisien où ils suivent les classes de Frédéric Durieux, Stefano Gervasoni et Gérard Pesson pour la composition, et d'Yan Maresz et Luis Naón quant aux nouvelles technologies appliquées à la composition, et, s’ils ont tous un parcours qui les différencient, en sus de leur personnalité propre, d’autres rivages musicaux sont immanquablement envisageables dont le présent article demeurera volontairement innocent. Enfin, ce compte rendu se circonscrit dans une transmission informative où la critique est absente, car la performance est inscrite dans une démarche pédagogique. Il s’agit plus d’un à-la-découverte-de-demain assez rêveur que d’une recension en bonne et due forme.

Né à Fukui en 1996, ville située en plein centre de la rive intérieure du Japon, Kenta Onoda aborde son art à l’université de Tokyo dont il sort diplômé. À l’heure actuelle, ce lauréat du quatre-vingt-sixième Music Competition of Japan et du trentièmeYasushi Akutagawa Suntory Award for Music Composition a rejoint la classe de Durieux – donc nous entendions une fort belle pièces hier encore [lire notre chronique de la veille] – et suit celles des nouvelles technologies évoquées plus haut. Nous entendons Bogossitude pour clarinette, saxophone, violoncelle, percussion, piano toy et clavier midi. « Cette partition fait partie d’une série d’œuvres inspirées par notre préoccupation de l’apparence physique qui se met en lumière au fur et à mesure que la technologie se développe », explique-t-il (brochure de salle). « L’apparition des applications de retouche nous permet de modifier sur les photos le contour du visage, d’agrandir les yeux, d’effacer les taches ou les plis, etc. […] même si notre visage reste moins désirable en réalité ». Pour exprimer ce décalage, Kenta Onoda utilise en solistes un piano jouet (piano toy) doublé et son double virtuel, le premier empêtré dans une vélocité impossible et des possibilités dynamiques restreintes quand le second possède toutes les qualités. Dès les premiers pas, la délicate étrangeté de l’instrument interroge l’écoute, rehaussés par une écriture en souffles que ponctuent des attaques quasi cristallines. Une partie plus rythmique semble vouloir prendre place au cœur de cette pièce d’environ treize minutes, les deux solistes conjuguant leurs efforts comme dans une union idéale qui miraculeusement gommerait leur disparité… mais non, le tutti fait figure de rappel au réel.

La pianiste et compositrice franco-finlandaise Sophia Chambon est née… quand elle veut, puisqu’il n’existe aucun élément à nous le dire, suivant une coquetterie désuète parfaitement ridicule – ne nous prenant pas pour un officier de police, nous n’irons pas nous renseigner dans les tiroirs de l’institution. Donc, cette enfant jamais née, dirons-nous, suit la classe de Gervasoni, après une licence à l’Académie Sibelius d’Helsinki. Elle livre Sept Miniatures pour violon, alto, violoncelle et piano, qui explorent « des modes d’expressions denses et brefs » et testent « l’élasticité d’une miniature sans en changer la nature », dit-elle (même source). Elle joue volontiers avec des citations. Quant à lui, le Catalan Arnau Gran i Romero naquit en 2001. Claviériste (clavecin et piano) et violoncelliste formé au conservatoire de Gérone, il arrive au CRR de Paris en 2019, où il suit la classe de composition de José Manuel López López, tout en faisant ses études de musicologie à l’université Paris VIII. Il y poursuit également un master en théorie et pratique de la musique auprès de Jérôme Combier, arrivant en 2022 dans la classe de Pesson et celles de nouvelles technologies. Songs to be burnt n°4, pour clarinette, saxophone, violon, alto, violoncelle, contrebasse et deux pianos, est la quatrième pièce d’un cycle qui trouve sa source dans un passage les Chant de Maldoror de Lautréamont. « Ce référent littéraire se transforme en musique non seulement par une atmosphère sombre et déshumanisée héritée du protagoniste, mais aussi par une série d’images poétiques qui servent de guide pour la construction musicale », dit-il (ibid.). Cette page occupe une place particulière dans le cycle puisqu’elle en est « la seule purement acoustique ». Tandis qu’un piano est joué classiquement (via le clavier), l’autre est manipulé sur le cordier par divers accessoires. Les autres parties convoquent des sons saturés et parfois de grands gestes dramatiques, comme en un souvenir romitellien, que la saine brièveté du mouvement rend plus prégnant encore.

Fille du compositeur turc Burhan Önder qui fut son premier professeur (piano), Bengisu Önder – qui n’est jamais née, elle non plus… quel curieux destin – a perfectionné son étude musicale au conservatoire d’Ankara puis auprès de Marco Stroppa à la Hochschule für Musik und Darstellende Kunst de Stuttgart. Après avoir présenté certains de ses travaux à l’Ircam, elle suit aujourd’hui la classe de Durieux, au CNSMD. Pillars of creation réunit onze musiciens (flûte, hautbois, clarinette, saxophone, violon, alto, violoncelle, contrebasse, percussion, piano et accordéon). « La pièce débute avec des blocs sonore larges et puissants qui évoquent des cris alarmants et qui évoluent progressivement vers des textures éthérées », explique la compositrice. Voilà une musique qui, d’emblée, paraît parler, prononcer sinon des mots du moins des phonèmes qui ne jouent pas systématiquement les uns avec les autres. On perçoit ici un grand souffle que traverse une inventivité qui s’affirme sur son propre domptage. Une période moins bouleversée absorbe ensuite l’écoute dans une scansion contenue, parfois presque campanaire. Un précipité de stridences renoue alors avec le début très tonique de Pillars of creation, suivant une forme en arche irrégulière.

C’est à la fin du IVe siècle que le poète romain Aurelius Prudentius Clemens, originaire de l’actuelle Rioja, met son art au service de la chrétienté à travers plusieurs sommes, dont le Peristephanon qui se penche sur les Passions des Saints Martyrs. Né en 199, l’organiste Simon Defromont, formé à Lille puis au CNSMD dans la classe de Pesson, s’est penché sur la Passion de Cassien d'Imola avec Le martyre de Cassien pour soprano, violon, alto, violoncelle, flûte, clarinette, percussion, deux pianos et accordéon. On retrouve l’excellente Clara Barbier Serrano, sa diction parfaite et son émission impérative [lire notre chronique du 13 septembre 2023]. Né en 1995 à Paris, Alexandre Jamar commença auprès d’Allain Gaussin puis de José Manuel López López, entrant dans la classe de Pesson, au CNSMD, à l’automne 2020. Son Spelling stars pour deux soprani, flûte, hautbois, clarinette, violon, alto, violoncelle, contrebasse, percussion, harpe, piano et célesta, s’inspire de vers de Rūta Kuzmickas, pianiste, poétesse et plasticienne. La chanteuse déjà citée et les musiciens (Vecchiato Andrea, Jasmine Daquin, Tokahiro Katayama, Reika Sato, Yi Zhou, Vincent Alves de Palma d’Elia, Bastien Lafosse, Joséphine Plagnol et Nanami Okuda) sont rejoints par le soprano Marie Ranvier. Ainsi prend fin la rencontre.

BB