Chroniques

par laurent bergnach

Anna Caterina Antonacci et le Quatuor Aron
Respighi et Tosti

Opéra national de Paris / Amphithéâtre Bastille
- 5 février 2011

Dans ses notes de programme, Simon Hatab attire fort justement notre attention sur « ce désert italien de la musique instrumentale » qu’est la fin du XIXe siècle dominée par l’opéra. Dans le genre du quatuor, en particulier, on pensera moins au pays de Verdi qu’à l’Autriche-Hongrie, l’Allemagne, la Russieou la France. C’est dire la spécificité de cette soirée, à l’image d’Ottorino Respighi (1879-1936), compositeur plus connu pour certaines pages symphoniques – sa célèbre Triologie romaine (1916-1928) – que pour sa quinzaine d’ouvrages lyriques – Rè Enzo (1905), Semirama (1910), Belfagor (1923), etc. – et ballets.

Une explication à ce paradoxe se trouve dans la vie du natif de Bologne : après avoir étudié l’interprétation avec Federico Sarti, le temps d’une saison consacrée à l’opéra italien, il est altiste principal au Théâtre Impérial Russe de Saint-Pétersbourg (1899), puis premier violon du Quintette Mugellini (jusqu’en 1908). Sur les traces de Giuseppe Martucci qui lui enseigne la composition, Respighi devient à son tour sensible au romantisme allemand ­– avec Rimski-Korsakov, Max Bruch compte d’ailleurs parmi ses professeurs occasionnels.

Mouvement unique de 388 mesureset deuxième essai du genre, Quatuor Dorico (sans doute composé durant l’été 1923 – les sources divergent à ce propos) s’ouvre dans un climat enjoué et serein, cependant poignant. Une succession de brefs soli du violoncelle, de l’alto puis du second violon ébauche une certaine nostalgie, laquelle disparaît, sans transition, dans des unissons énergiques, voire conquérants. Badine, une rêverie apaisée prend le dessus, avec un zeste d’esprit slave, que vient clore un final vigoureux.

Le Quatuor Aron laisse ensuite place à Donald Sulzen accompagnant Anna Caterina Antonacci pour trois Mélodies sur des poèmes de Gabriele D’Annunzio. D’emblée, l’aigu du piano met en valeur le timbre sombre du soprano au chant aisé, à la sensualité païenne. Van li effluvi delle rose suit O falce di luna calante avec plus de retenue, mais Sopra un’aria antica laisse libre cours à une pâte vocale généreuse, d’autant plus expressive que le poème mêle styles direct et indirect. Rares sont les chanteuses qui peuvent émouvoir ainsi, au bout de dix minutes seulement…

Avant son cadet, Paolo Tosti (1846-1916) s’intéresse aussi à l’auteur d’Il Piacere (Le Plaisir, 1889), parangon du décadentisme qui écrit spécialement pour lui. Choisies parmi plus de cinq cents « romances de salon », nous entendons successivement Visione – qui permet à Antonacci, évoquant réalité et mirage, d’opposer délicatesse et ampleur –, ainsi que Quattro canzoni di Amarante, cycle à des lieux du vérisme qu’introduit longuement le pianiste.

La soirée s’achève avec Il Tramonto, donné après l’entracte. Composée au moment de la Première Guerre mondiale (1914 ? 1918 ? là encore, les informations sont peu fiables) sur un poème de Shelley, cette chanson permet à Anna Caterina Antonnaci de séduire par le legato et la ligne de chant dès la première phrase de quatre vers. L’ensemble n’est pas ciselé à l’instar de tant de Lieder entendus, mais suffisamment articulé et investi pour rendre crédible ce versant méditerranéen d’un même sommet.

LB