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Chroniques
Andris Nelsons dirige les Wiener Philharmoniker
Brahms (par Hélène Grimaud) et Tchaïkovski
Le Théâtre des Champs-Élysées déroule le tapis rouge et le public se presse ce soir-là pour entendre l'Orchestre Philharmonique de Vienne dirigé par le jeune chef letton Andris Nelsons et la pianiste Hélène Grimaud. Sans trop chercher à savoir lequel de ces trois éléments justifie l'affluence (et le prix des places), il faut bien reconnaître que la programmation a mis les petits plats dans les grands : Concerto en si bémol majeur Op 83 n°2 de Brahms et Symphonie en si mineur Op.74 n°6 « Pathétique » de Tchaïkovski.
Etrangement, dès les premières notes, on ne peut s'empêcher de penser au différend qui opposa Claudio Abbado et la musicienne française dans le même opus de Brahms. Cette brouille pour « divergence d'interprétation » contraignait le Festival de Lucerne à la remplacer au pied levé par Radu Lupu. Malgré le souvenir ému qu'on garde de ce concert d'ouverture, on regrette cette belle occasion manquée. On est ici frappé par la motricité d'un jeu extraverti qui contraste singulièrement avec la méditation très sombre et fort étale du discours pianistique de Lupu.
Le premier mouvement est bluffant d'énergie et de volontarisme ; les doigts semblent sculpter les attaques de phrases, mais la tension physique qu'impose la partition chute à mi-course dans les méandres des ornements. La respiration continue du contrechant est sans cesse escamotée, faute de moyens spécifiquement physiques, et ce alors même que les éléments techniques sont bel et bien présents mais ne suffisent à imposer une vision cohérente. Les fluctuations de tempo interrompent fréquemment le fil conducteur, surtout dans l'Andante, véritable jeu du chat et de la souris entre chef et soliste. Hélène Grimaud semble prendre un malin plaisir à s'approprier le thème que lui donne l'orchestre pour le remodeler à sa façon, ce qui contraint le chef à diriger de biais, corps et regard penchés en arrière au-dessus du clavier capricieux. L'orchestre ne force pas son talent, principalement du côté des interventions solistes. Le cor initial ne faillit pas à la réputation des cuivres viennois, même si dans la reprise de son thème l'attaque se fait un peu moins nette… Quant au violoncelle de l'Andante, le son est mat et vibré sans complaisance – un écrin de sobriété pour un piano qui n'en demandait pas tant pour s'épancher.
Tchaïkovski aurait certainement été impressionné d'entendre sa Pathétique renommée « énergique » sous la baguette impétueuse d'Andris Nelsons. Nul alanguissement, pas plus que d'introversion où l'oreille se love passivement dans les volutes mortifères de la nostalgie. La battue est nette et sollicite en permanence l'attention, tant du côté de l'équilibre des timbres que des proportions des différentes masses instrumentales. Sans sombrer dans un narcissisme de mauvais aloi, cette approche fuit les strates de clichés que la tradition discographique a bien voulu déposer sur la partition.
Le gigantisme des progressions harmoniques dans les premier et dernier mouvements cède au plaisir d'y admirer la transparence des lignes et les jeux de réponses d'un pupitre à l'autre. L'élément sentimental disparaît dans l'Allegro molto vivace, assez démonstratif et interprété avec l'engagement du défi virtuose par des Viennois visiblement ravis de montrer leurs nombreuses qualités dans ce domaine. Pas plus de lamentoso dans le final qu'il n'y avait de « pathétique » dans le titre. On écoute de l'extérieur une musique qui ne cherche pas à captiver autrement que par la perfection de l'exécution. C'est presque pour s'excuser de si peu de sentimentalisme qu'Andris Nelsons ose un bis après cette Sixième Symphonie (chose impensable chez Mravinski ou Furtwängler). Dès les premières notes, on devine la Valse triste de Sibelius – scie musicale dont la vogue a tendance à étouffer la modeste valeur. Nelsons l'égrène à l'extrême, opérant un rapprochement inédit avec l'entrée en matière de la Passacaille de Webern – maigre consolation mais choix judicieux et consensuel.
DV