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Chroniques
Andreï Boreyko dirige Orchestre Philharmonique de Radio France
Die Seejungfrau d’Alexander von Zemlinsky
Alexandre Zemlinsky (1871-1942) est un immense compositeur, non seulement lyrique (ses opéras s’imposent peu à peu) mais aussi symphonique. Conjuguant les deux aspects de sa personnalité, sa Symphonie lyrique l’a déjà prouvé en maintes occasions en France [lire nos chroniques du 4 mars 2009 et du 3 décembre 2010], mais sa plus rare Seejungfrau (Petite sirène), découverte dans les années quatre-vingt, l’a confirmé fin janvier à Pleyel, avec un Orchestre Philharmonique de Radio France enthousiaste et en grande forme, dirigé par le Russe Andreï Boreyko.
Composé en 1902-1903, créé au même programme que le Pelléas et Mélisande de l’élève Schönberg, le 25 janvier 1905, la partition fut immédiatement retirée par son auteur qui, lorsqu’il quitta l’Europe en 1938 pour New York après l’Anschluß, emporte seulement deux mouvements de sa Petite sirène dans ses bagages. Les trois parties de l’œuvre sont finalement retrouvées en 1984, et ce n’est que depuis lors que cette puissante composition acquiert lentement mais sûrement une place méritée dans le répertoire.
Davantage placé dans l’héritage de Brahms, à qui Zemlinsky doit ses premières publications, que de Wagner, Mahler ou Richard Strauss, cette fantaisie pour orchestre d’après le conte éponyme de Hans Christian Andersen est autobiographique, tout comme l’ensemble des œuvres du compositeur. Alma Schindler, son élève à qui il vouait un amour profond mais qui, tout en l’estimant et se laissant porter au flirt pendant deux ans, le considérait comme un nabot hideux, s’était mariée en 1900 avec le plus beau parti de la musique qui se puisse alors trouver sur la place de Vienne, le compositeur chef d’orchestre et directeur de l’Opéra de la capitale impériale, Gustav Mahler, que Zemlinsky admirait. Ce dernier se tourna alors versl’histoire de la sirène d’Andersen, celle-là même qui inspire simultanément à Dvořák l’opéra Rusalka créé le 31 mars 1901 [lire notre chronique du 30 septembre 2010], y voyant l’écho de sa propre expérience.
Dans le conte, l’héroïne sauve un prince de la noyade et en tombe amoureuse. Son sentiment la pousse à solliciter la Mer-sorcière, qui, en échange de sa voix – elle lui coupe carrément la langue ! –, la rend humaine. Mais le marché est risqué, car si la sirène ne réussit pas à conquérir le cœur du prince, elle est vouée à la mort. Lorsque l’homme épouse une autre femme, les sœurs de l’amoureuse supplient la Mer-sorcière de la sauver. Cette dernière déclare alors que la délaissée doit tuer le prince, mais celle-ci ne peut se résoudre au geste fatal. Le cœur brisé, elle plonge dans la mer, où, au lieu de périr, elle se transforme en Fille de l’Air et se voit offrir une nouvelle chance de récupérer son âme immortelle. Selon le biographe Olivier Beaumont, le compositeur se voyait comme le personnage essayant de conquérir le cœur du prince-Alma.
La fantaisie symphonique débute comme le conte qu’elle suit quasi littéralement. Zemlinsky narre l’histoire par le biais d’une série de motifs. Parmi eux, une figure, qui représente le fond de l’océan, et le thème de la sirène, introduit par le violon solo, sont parmi les motifs entendus au début du premier mouvement. Le centre du morceau, qui tient le rôle du développement après la longue exposition thématique qui le précède, dépeint la tempête mouvementée au cours de laquelle le prince tombe dans l’eau. Au moment où la musique semble sur le point d'atteindre son point culminant, se présente une douce et lyrique exposition du thème de la sirène.
Le mouvement central, un scintillant scherzo, renvoie au bal du palais du roi-Mer. L’orchestration est brillante, évoquant plus ou moins Richard Strauss. Lorsque la sirène entre dans la tanière de la Mer-sorcière, la musique se fait soudain mystérieuse et tragique. Un motif de grande noblesse, à l’image de l’âme immortelle, sonne avant le retour de la musique de bal,plus étincelante encore. Au début du finale, la sirène fait ses premiers pas d’être humain. Zemlinsky reprend une partie du matériau de sa partition aux élans essentiellement lyriques, jusqu’à un violent climax, qui marque la brutalité du choc de la découverte par la jeune fille du prince au bras de son épouse. Son désarroi se mue graduellement en une coda extatique, reflet de la transformation progressive et de l’immortalité promise.
Le tout a été délicieusement perceptible par l’auditeur qui, grâce à l’intelligibilité de la direction évocatrice, lyrique et dramatique de Boreyko, suivit à livre ouvert non seulement l’intrigue de ce grand poème symphonique d’une cinquantaine de minutes, mais aussi tout ce qui s’y trouve de vécu et de ressenti. L’Orchestre Philharmonique de Radio France a partagé avec un évident plaisir la vision du chef en exaltant les sensuelles sonorités qui font l’une des plus singulières richesses de l’écriture foisonnante de Zemlinsky et qui la rendent immédiatement identifiable.
Àl’instar d’Alexandre Zemlinsky plusieurs années plus tard, Antonín Dvořák (1841-1904) doit les premières publications de ses œuvres à Johannes Brahms. Le fait d’avoir opéré une sélection de six parmi les seize Danses slaves – quatre de l’Opus 46 (1878), deux de l’Opus 72 (1886) –, au lieu de donner l’intégralité de l’un ou l’autre des deux recueils, est une première réserve. Mais l’interprétation s’est avérée plus décevante encore, tant elle a distillé l’ennui, au point de rendre ces pièces scintillantes un brin longuettes et sans réel intérêt, ce qui est un comble. Cette retenue était sans doute due au fait qu’était réservée en plat de résistance la Seejungfrau de Zemlinsky, donnée en seconde partie.
BS