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Chroniques
Albert Herring
opéra de Benjamin Britten
Un monde fermé, étouffant. La province dans ce qu’elle a de plus figé, avec ses petites maisons toutes pareilles, son gazon d’autant plus impeccablement tondu qu’il est anglais, les mêmes visages, toujours, dans des rôles immuables : la grande notable paternaliste sûre de son goût et gonflée de son importance, la servante qui s’escrime à la singer, l’institutrice qui, à force de parler aux enfants, ne sait plus s’adresser aux adultes, le maire qui se pique d’être un grand orateur, etc. Parmi tous ces êtres qui ne se posent pas de questions, un seul détonne : Albert Herring. Considéré comme l’idiot du village, travaillant sans relâche dans l’épicerie familiale, il souffre une vie que sa mère a choisie pour lui. Lorsqu’il sera couronné Roi de mai pour sa vertu, ce sera l’occasion de se libérer du carcan qu’on lui impose.
Inspiré par Le Rosier de madame Husson, la célèbre nouvelle de Maupassant, Albert Herring a été composé par Benjamin Britten au milieu des années quarante. Tel est le talent des vrais créateurs : d’un texte très ancré dans la France du XIXe siècle, le musicien britannique sut trouver des échos à ses propres préoccupations et les intégrer à sa partition. Nul doute que Britten et son compagnon Peter Pears, créateur du rôle d’Albert à Glyndebourne en 1947, ont pu entendre dans le texte original des correspondances avec leur homosexualité. De datée la nouvelle devient intemporelle, en mettant l’accent sur des questions universelles : qu’est-ce que la normalité, comment trouver sa place quand on est différent, comment se libérer du regard des autres ?
C’est aussi l’intelligence du metteur en scène Richard Brunel – dont on avait pu apprécier le travail à l’Opéra de Rouen dans Der Jasager, der Neinsager de Kurt Weill [voir notre chronique du 19 janvier 2007] – de distiller les touches contemporaines qui résonnent avec notre société. Ainsi, les caméras de vidéosurveillance viennent-elles rappeler que, même à la ville, nous sommes sous le regard d’autrui. Évoluant dans cette mise en scène efficace, le plateau vocal se montre équilibré, avec une mention spéciale pour le baryton Leigh Melrose qui compose un Sid-tentateur fort convaincant et Allan Clyton, idéal dans le rôle-titre.
Laurence Équilbey dirige l’Orchestre de l’Opéra de Rouen Haute-Normandie impeccablement, trop peut-être, au point de passer à côté de l’humour de Britten ou, à l’inverse, de l’urgence qui traverse l’œuvre. La partition n’en est pas moins saisissante, parfois, comme la scène de la battue pour retrouver Albert où les percussions se révèlent d’une intensité quasi hallucinatoire. Reste en mémoire, bien après la fin de la représentation, la petite musique funèbre de la clarinette qui, égrenée tout au long de l’opéra, semble vouloir rappeler obstinément qu’il ne faut pas se laisser enfermer. Douter, s’émanciper, se réaliser – vivre, tout simplement.
IS