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Chroniques
Adrián Erőd et le Quatuor Aron
œuvres de Schoeck, Wolf et Zemlinsky
Ce programme Convergences n'a jamais si bien porté son nom puisqu’il permet de réunir, en dehors d'une proximité purement chronologique, des esthétiques et des atmosphères à la fois contrastées et complémentaires. La couleur harmonique très Fin de siècle de ces œuvres annonce une modernité où l'avancée sérielle opère déjà en sous-main : Notturno (1933) – qui n'avait jamais été donné en concert à Paris (!) – y côtoie la Sérénade italienne d'Hugo Wolf (1887) ainsi que le Quatrième Quatuor d'Alexander von Zemlinsky (1936).
La Sérénade italienne sous les archets du Quatuor Aron, c'est un peu l'Italie vue par le guide Baedeker. Les lignes sont d'une sobriété étonnante, pour ce qui est censé renvoyer à une danse populaire et l'univers comique d'un théâtre de rue. L'ombre du redoutable Quatuor (1880) relègue cette modeste Sérénade à des sourires de convention et une peinture rhapsodique en demi-teinte. Assez plat et parfois hésitant dans les relances, le phrasé laisse à penser qu'on est ici en train de mettre en place les ultimes réglages ; la lecture se contente d'effleurer la surface des notes.
Le Quatuor à cordes Op.25 n°4 de Zemlinsky est l'occasion pour les interprètes de sortir de leur réserve. L'œuvre déploie une rhétorique qui paraît dévorer les marges de l'expressivité. Cet hommage à la Suite lyrique d'Alban Berg alterne sons moirés et passages véhéments, sans pour autant quitter de vue une relative poésie du gris, ni vraiment sérielle ni ouvertement post-romantique. Les relances du violoncelle et de l'alto dans le Thema con variationen ne sont pas sans évoquer la musique française. Il faut toute l'énergie de la double fugue du finale pour retrouver la terre ferme et moins nostalgique.
Othmar Schoeck reste largement méconnu en France, malgré des interprètes prestigieux et la qualité indéniable de certaines œuvres au premier rang desquelles Penthesilea [lire notre critique du CD] dont le sujet a également inspiré Hugo Wolf. Concernant le très mystérieux Notturno pour baryton et quatuor à cordes, on se souvient de la version enregistrée en 1968 avec Dietrich Fischer-Dieskau et le Quatuor Julliard ou tout récemment Christian Gerhaher et le quatuor Rosamunde. Les neuf magnifiques poèmes de Nikolaus Lenau (et le texte final de Gottfried Keller) servent d'architecture expressionniste à des scènes vocales enchâssées dans une écriture pour cordes marquée par la noirceur chromatique du premier Schönberg. Cet autre Voyage d'hiver nous entraîne sur les chemins d'une introspection psychologique sous un ciel sonore au registre grave entre bistre et plomb. Adrián Erőd [photo] ne surjoue pas les vertiges métaphysiques d'un Fischer-Dieskau en état de grâce. Idéalement placé derrière le quatuor, son interprétation sonne remarquablement équilibrée et sensible. La voix est peu vibrée, aux intonations droites et contrastant avec l'accompagnement, comme par exemple dans Blick in den Strom où de minuscules dessins harmoniques se développent à contre-courant d'un texte qui nous chuchote que « L'âme voit sa douleur et elle-même passer en s'écoulant ». Le quasi parlando de Traumgewalten est fait d'amalgames subtils de forces contraires qui alternativement nous mènent vers un centre sonore ou nous en éloigne. Ein Herbstabend libère spectaculairement des lignes musicales qui s'enfuient hors-champ. Insaisissable dans son essence et dans son expression, cette musique confine souvent aux couleurs de la mélodie française en y mêlant une dimension d'invocation quasi liturgique. C'est un chant de la nuit, fait de pampres immobiles et de timbres glacés. Les ruptures d'angles et le flétrissement imperceptible de l'harmonie dans le vers final du fragment de Keller s'éloignent imperceptiblement du legato perpétuel et laissent l'auditoire littéralement médusé.
DV