Recherche
Chroniques
Adelaide di Borgogna ossia Ottone, re d’Italia
Adelaïde de Bourgogne ou Otton, roi d’Italie
Après la reprise d’Aureliani in Palmira (1813) dans la mise en scène concoctée par Mario Martone en 2014 [lire notre chronique de la veille], voici l’une des nouvelles productions de l’édition 2023 du Rossini Opera Festival de Pesaro. Adelaide di Borgogna, ou encore Ottone, re d’Italia, fut livré au public le 27 décembre 1817, à l’Argentina de Rome. À Pesaro, il y a douze ans, on joua ce dramma per musica en deux actes sur un livret du Toscan installé à Naples Giovanni Federico Schmidt, à plusieurs reprises collaborateur de Rossini (comme de Mercadante, Paër ou Zingarelli, entre autres) : les solistes principaux étaient Jessica Pratt dans le rôle-titre, Daniela Barcellona (Ottone) et Bogdan Mihai (Adalberto), la fosse était tenue Dmitri Jurowski et Pier Luigi Pier’Alli signait le spectacle, disponible en DVD (Arthaus). Comme celui que nous abordions hier et celui que l’on verra demain, l’argument emprunte à l’Histoire avec une liberté bien de son époque.
Nous voilà propulsés au Xe siècle. Le légitime roi d’Italie, Lotario, a été assassiné par Berengario, usurpateur qui règne en tyran et fait pression sur la veuve de sa victime afin qu’elle accepte d’être sa belle-fille en épousant son rejeton Adelberto, ce qui ferait taire toute protestation en rendant plus légitime le pouvoir qu’il exerce désormais. Adelaide, la veuve en question, demande protection et conseil à l’empereur d’Allemagne et du Saint-Empire, Otton Ier (Otto der Große). Là, coup de foudre ! Il combat donc l’usurpateur, gagne et emmène l’héroïne en sa patrie dont elle devient l’impératrice. Œuvre mal aimée, dont il fut dit qu’elle était du pire Rossini – on a même prétendu que le compositeur, pris de court, en aurait confié l’achèvement à un musicien de ses amis, Michele Carafa, prince de Colubrano (1787-1872) –, elle présente pourtant une écriture d’orchestre soignée, proche des opus contemporains que le jeune maître fournissait au Teatro San Carlo (Naples). Nous la découvrons dans l’édition critique de la Fondazione Rossini, réalisée par Gabriele Gravagna et Alberto Zedda, le chef qui dirigeait sa parution discographique en 1984 (Fonitcetra), à partir d’une captation du Festival della Valle d’Itria, avec les voix de Martine Dupuy, Mariella Devia et Armando Caforio, et qui fonda, en 1980, le Rossini Opera Festival.
Adelaide di Borgogna est confié au metteur en scène strasbourgeois Arnaud Bernard [lire nos chroniques de Rigoletto à Lausanne, La dame de pique à Toulouse, Roméo et Juliette, Le marchand de Venise, I Capuleti e i Montecchi et Nabucco], qui semble prendre l’ouvrage avec des pincettes, ce qui conduit à une distance qui tient de la posture. Plutôt que de considérer l’intrigue frontalement et d’intégrer au premier degré une teneur chevaleresque qui peut échapper à notre sensibilité d’aujourd’hui, Bernard parcourt au fil des tableaux les répétitions de l’œuvre ici-même, selon un principe de mise en abîme qui reconcentre l’œil du spectateur sur les relations entre les interprètes plutôt que sur les enjeux entre personnages. De là à faire vivre un metteur en scène et son équipe et à montrer ces espaces que d’habitude l’on ne voit qu’en rendant visite aux artistes, il n’y avait qu’un pas, largement franchi par les somptueux décor d’Alessandro Camera, fidèle collaborateur de Bernard. Et ce sontbel et bien les coulisses d’un théâtre que nous abordons, plutôt que le Moyen Âge du livret, les amours de la prima dona et de sa consœur mezzo se substituant à celles d’Adelaide et de l’empereur. Les costumes de Maria Carla Ricotti répondent avec brio aux exigences du concept. Et si le public finit par s’intéresser à une autre histoire qu’à celle de l’opéra de Rossini, il faut reconnaître qu’il s’intéresse passionnément à cette histoire-là, qu’il rit de bon cœur et que la soirée connaît un franc succès.
Les sept solistes à l’affiche n’y sont pas pour rien. Deux jeunes ténors se partagent des petits rôles bien servis : Antonio Mandrillo campe Ernesto d’une voix aiguisée quand Iroldo revient au lyrique Valery Makarov dont il faut signaler la richesse du phrasé. Au mezzo-soprano Paola Leoci revient la partie de la reine Eurice, mère d’Adelberto : on apprécie la douceur de son timbre et la souplesse de l’émission, jamais en difficulté. Le méchant de l’affaire est tenu par Riccardo Fassi, basse charismatique et richement timbrée, en Berengario doté d’un cantabile luxueux, séducteur même, dont la noirceur vocale suggère un autre personnage que celui qu’on entrevoit – le choix de ce chanteur est parfaitement judicieux [lire nos chroniques d’Il pirata, Demetrio e Polibio et Andrea Chénier]. L’enchantement vient encore du chant lumineux de René Barbera : puissance, souplesse, agilité et nuance, toutes les qualités sont réunies dans son émouvant Adelberto, le gentil de la farce [lire notre chronique d’Anna Bolena]. L’homogénéité de l’organe sur tous ses registres est le plus convaincant des atouts de Varduhi Abrahamyan, contralto qui incarne l’empereur Ottone ; une diction un peu chamallow de l’italien pourrait facilement devenir son ennemi, attention [lire nos chroniques de Die Walküre, Rigoletto à Nancy, Semiramide, Giulio Cesare in Egitto, La dame de pique à Paris, Orphée et Eurydice, Alcina et Lucrezia Borgia]. L’agilité de la prodigieuse Olga Peretyatko est à son affaire dans le rôle-titre [lire nos chroniques d’Otello, Rossignol, Alcina, L’elisir d’amore, I puritani, La fiancée du Tsar et Rigoletto à Paris] ! La voix s’est maintenant orientée dans une couleur plus dramatique qui sied idéalement à l’Adelaide tourmentée de Rossini et contrariée d’Arnaud Bernard. Elle a gardé l’habileté qui la caractérise depuis toujours, réalisant ici des variations qui emportent les suffrages.
Félicitons encore les vaillants artistes du Coro del Teatro Ventidio Basso, préparés par Giovanni Farina, pour leur prestation fiable musicalement et loyalement engagée dans la mise en scène. À la tête d’un Orchestra Sinfonica Nazionale della RAI affirmant une forme olympique, maestro Enrico Lombardi met en valeur cette œuvre un peu maladroite du jeune Rossini, avec énergie et discernement. On quitte la Vitrifrigo Arena sourire aux lèvres.
KO