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Chroniques
A kékszakállú herceg vára | Le château de Barbe-Bleue
A csodálatos mandarin | Le mandarin merveilleux
Depuis ses débuts en 1963, Lucinda Childs a collaboré à plus d'un art de la scène, tour à tour comédienne au théâtre (La maladie de la mort), metteur en scène (Zaïde, Orfeo ed Euridice) ou chorégraphe pour l'opéra (Salomé, Macbeth, Lohengrin, etc.). En janvier 2004, à Strasbourg, on la retrouve associée à une production du Ballet de l'Opéra national du Rhin : Le mandarin merveilleux (1926). Elle explique : « La structure profonde de la chorégraphie m'a été dictée par la partition complexe de Bartók. Je l'ai ainsi créée pour compenser l'alternance de rythmes musicaux. Chacun des six personnages masculins possède une identité propre mais, dans ma version, je leur fait partager une identité commune de manière à ce que le public puisse les confondre à n'importe quel moment de la pièce ». Confusion également avec Stéphanie Madec (Mimi) qui, lorsqu'elle ne danse pas en miroir ses duos avec le rôle-titre, s'entoure de cinq doubles féminins. Proposant une lecture semi-narrative du ballet, l'égérie de la danse postmoderne fait alterner le récit (le premier client puis l'étudiant dépouillé par trois voyous, le mandarin à son tour détroussé, etc.) avec des passages plus abstraits. Seul à être vêtu de rouge, Boyd Lau finit par disparaître sous une cage au verre dépoli, puis derrière un immense carré noir, lui aussi descendu des cintres. Des applaudissements courtois accueillent ce spectacle trop classique pour certains, pas assez pour d'autres.
Après l'entracte, marquant l'ouverture d'une saison riche en rendez-vous, Angers-Nantes-Opéra présente sa nouvelle production : Le château de Barbe-Bleue (1918). Patrice Caurier et Moshe Leiser nous invitent dans une banale chambre d’hôtel, avec lit, tables de chevet, coiffeuse et fauteuils. Le plafond blanc est incliné, les murs peints de différents verdâtres. Lorsque le rideau se lève, quatre lampes attendent les protagonistes de l'acte unique, ainsi que les notes succédant à une voix-off enveloppante – « Où est la scène, dehors ou dedans ? ». Judith peine à entrer, puis à refermer la porte. Pourtant, elle a quitté famille et fiancé pour suivre un homme à la réputation douteuse. Entre ces murs sans fenêtres, comme pour balayer les ombres du passé, elle a soif de lumière, symbole d'une connaissance qui causera sa perte.
Comme tout grand soprano dramatique, Jeanne-Michèle Charbonnet possède une voix pleine et sonore aux couleurs de mezzo, une grande égalité sur toute la tessiture qui s’avère un atout supplémentaire. Dans une lumière évoluant sans cesse, collant à la sensualité de l'ensemble, une sorte de Carte du Tendre remplace les sept portes attendues. Puisque la musique dit le scintillement des trésors ou la puissance claironnante du royaume, pourquoi recourir à l'anecdote quand tout le drame est psychologique ?
Déconcerté par la présence de cette femme, Barbe Bleue semble d'abord la dupe d'un mariage arrangé, puis un maniaco-dépressif qui s'anime à l'évocation du sang, un impuissant qui retrouve confiance en son potentiel érotique. Les caresses accompagnent la peur de Judith devant les bijoux tâchés, annonçant l'effeuillage de la belle. Le chant est triomphant sur l'épisode du jardin, juste avant l'extase des corps. À l'image du Hollandais (Richard Wagner, der fliegende Holländer), cet homme sans véritable identité fascine et détruit, même s’il met plusieurs fois en garde Judith contre le château. À la quatrième épouse frappée et ligotée, il montre le polaroïd des trois précédentes. Puis la couverture recouvre et le bras étrangle. Wagnérien accompli (Hunding, Hagen, Fafner, Daland), Gidon Saks incarne ce monstre ordinaire d'une voix saine et stable, doté d'un timbre rond et chaud.
En fosse, l'Orchestre National des Pays de la Loire fait preuve de beaucoup de délicatesse et de sensualité (harpe, clarinette, violon), mené avec couleurs par Daniel Kawka qui s'offre le luxe de deux saluts aujourd'hui (cette fois sous les bravi déchaînés).
LB