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Chroniques
25ème édition du festival Présences : les deux Amériques
créations de concerti signés Estaban Benzecry et Richard Dubugnon
C’était en 1991. Claude Samuel inventait Présences, un festival annuel à travers lequel Radio France fêterait les compositeurs du présent. Exilée au Châtelet [lire nos chroniques de l’édition 2012] durant les travaux grâce auxquels la maison ronde peut aujourd’hui s’enorgueillir d’un fort bel auditorium, la manifestation, qui l’an passé regagnait timidement ses locaux tout en fréquentant Pleyel et le théâtre susnommé, reprend la place qui est la sienne : le Studio 104 (nouveau nom de la Salle Olivier Messiaen débaptisée), malheureusement dépourvu de son grand orgue mais en élégante robe violette, l’Auditorium flambant neuf, enfin le sinistre Studio 105 – pour seulement deux programmes, Dieu merci. Au fil du temps, Présences a changé. Si les monographies des années quatre-vingt-dix semblent passées de mode, au profit de menus thématiques, c’est principalement l’abandon de la gratuité des concertsqui semble marquant. Certes, ceux-ci restent abordables (entre 5€ et 15€), mais ils ne sont plus offerts, comme c’était le cas au début. Loin, le grand enthousiasme des premiers pas, donc, où une foule envahissait les lieux ; après les petites jauges de 2014, celles de 2015 feront-elles plaisir à voir ?...
Après Paris-Berlin [lire nos chroniques de l’édition précédente], ouvrons Les deux Amériques, troquant l’axe ouest-est pour un nord-sud, puisque la dernière œuvre au programme du festival est de l’Argentin Osvaldo Golijov (samedi 21 février, 20h) et que la première est signée Conlon Nancarrow. Bien sûr, le Nouveau Monde est présent sur le plateau, puisque s’y succèderons plusieurs chefs issus d’El Sistema, en cela cousin de maestro Dudamel. Ce soir, nous découvrons Manuel López-Gómez, né à Caracas il y a trente-et-un ans.
Le 19 avril 1986 était créé à New York Piece n°2 for small orchestra de Nancarrow (1912-1997). Essentiellement rythmique, la facture assez séduisante fait goûter quelques pépites instrumentales, bien tenues par les musiciens de l’Orchestre Philharmonique de Radio France, au delà desquelles il ne faudra pas chercher, tant pauvre est l’insistance jazzique du matériau. Richard Dubugnon est né à Lausanne en 1968. Nous entendons en création mondiale le Concerto sacra pour hautbois que lui a commandé Radio France. Huit sections le constituent, sur le modèle du quotidien du clergé régulier, de Matutini à Completorum – c’est-à-dire des matines aux complies. Olivier Doise attaque la chose par des multiphoniques réveillés par des cloches ! Voilà qui nous charme… mais non durablement. Le curieux assemblage de procédés « saturationnistes » à un phrasé néoromantique dans une inspiration grégorienne invitent à dorénavant n’user son encre que pour ne pas se fâcher. Bon, l’on aime le retour carillonné de la fin – peut-être parce qu’il nous dit que c’est la fin, d’ailleurs. De deux ans son cadet, Esteban Benzecry est un compositeur franco-argentin né à Lisbonne. Radio France lui a également commandé une œuvre ; il s’agit du Concerto pour violoncelle que joue son dédicataire Gautier Capuçon, en première mondiale. L’archet frotte dans le grave Ancestral, le premier mouvement de cet opus qui en compte trois, comme les concerti d’autrefois. Vous proposant d’être moi-même le premier à respecter le mot d’ordre que j’énonçais quelques lignes plus haut, je me tais.
Darwin Aquino est né en République dominicaine en 1979. Violoniste de formation, il aborde l’écriture par la transcription de pages du répertoire populaire, dès ses neuf ans. On le retrouve élève d’Ivan Fedele à Strasbourg… à seize ans ! Après avoir été chef principal de l’Orquesta Sinfónica Nacional Juvenil, ce jeune compositeur est maintenant chef assistant au Teatro San Carlo (Naples). Espacio ritual, qui date de 2007 et fut créé au printemps 2010 à Caracas, commence dans un grand geste scandé, impressionnant, suivi d’une section plus lyrique. On entend qu’Aquino prit soin de bien écouter les Français, Varèse et Boulez laissant quelques traces dans cette pièce tendue où l’on perçoit un langage personnel et une maîtrise inventive de l’écriture d’orchestre. Dans sa notice de brochure, il précise « des textures expressives empruntées à la diversité musicale de notre île (palos, gaga, salves, gongos) culminent dans la recréation d’un rituel festif dominicain », sans pourtant qu’on sente une attache littérale à ses sources, ce dont on le félicite. Puissantes, les quelques cinq minutes d’Espacio ritual contrastent remarquablement avec les deux premiers tiers de la soirée.
Pour finir, Manuel López-Gómez transporte l’auditoire dans son pays natal, avec Santa Cruz de Pacairigua d’Evencio Castellanos (1915-1984), compositeur vénézuélien qui, à la manière d’Heitor Villa-Lobos au Brésil et de ses continuateurs Carlos Chávez au Mexique et Alberto Ginastera en Argentine, érigea une musique nationale à partir d’un folklore haut en couleur. La bigarrure de cette nouvelle édition de Présences augurerait-elle le pire ?
HK