Chroniques

par bertrand bolognesi

2025 année Boulez – Le soleil des eaux (1947-1965)
Sarah Aristidou (soprano), Jean-Efflam Bavouzet (piano)

Chœur de Radio-France, Orchestre national de France, Juraj Valčuha
Auditorium / Maison de la radio et de la musique, Paris
- 23 janvier 2025
Pierre Boulez en 1967, deux ans après la version définitive du SOLEIL DES EAUX
© dr

Inauguré le 6 janvier, 2025 année Boulez continue avec ce second des deux concerts que l’Orchestre national de France (ONF) consacre à la musique du compositeur. Après ses Notations (I à IV et VII) sous la baguette de Thomas Guggeis, il y a une semaine, lors d’une soirée à laquelle nous n’avons malheureusement pu assister et qu’introduisait la création mondiale de Maelström de Philippe Manoury, en hommage au maître, la formation radiophonique s’associe aujourd’hui le Chœur maison pour s’atteler ensemble au Soleil des eaux, une page inspirée par la poésie de René Char, à l’instar du Visage nuptial et du Marteau sans maître. Elle fut plusieurs fois composée, entre 1947 et 1965, avant de connaître la forme définitive dans laquelle nous l’entendons à l’Auditorium de la Maison de la radio et de la musique, sous la battue de l’excellent Juraj Valčuha. Dans une sonorité plus rond que celle des interprétations que l’on connut de l’œuvre, le chef slovaque en souligne l’héritage webernien avec une souplesse subtile. On retrouve le soprano Sarah Aristidou, entendu (c’est beaucoup dire…) dernièrement dans Pli selon pli [lire notre chronique du 7 janvier 2025], auquel Complainte du lézard amoureux offre plus de moments à découvert, laissant apprécier une prestation correcte. Ce sont bien plutôt les artistes du Chœur de Radio-France qui brillent ce soir, avec La Sorgue, dans une lecture à l’expressivité évidente, que magnifie la puissance contrastée entretenue par Valčuha.

Béla Bartók demeure indéniablement un grand aîné qui a compté pour Pierre Boulez. De nombreux concerts ont témoigné de son goût pour la musique du Hongrois, ainsi qu’autant de gravures discographiques, dont plusieurs des concerti pour piano. Aussi Jean-Efflam Bavouzet gagne-t-il le plateau pour l’exécution du Concerto n°3 Sz.119, ultime partition de Bartók, disparu à l’automne 1945, lorsque notre illustre Français, à vingt ans, concevait ses Notations pour piano. La rigueur vigoureuse avec laquelle le pianiste attaque le thème élégiaque de l’Allegretto laisse songeur… voilà qui semble plutôt raide et dépourvu de lumière, peu en accord avec l’approche plus sensuelle de Juraj Valčuha. À l’inverse, le soliste s’appesantit dans un Adagio religioso qu’il rend plus qu’atrocement sentimental, voire kitsch. On préfère grandement l’urgence de sa prestation musclée de l’Allegro vivace, plus probante. À l’enthousiasme de la salle, Bavouzet répond en reprenant place au clavier, donnant la Prélude en la mineur couché sur le papier par Maurice Ravel en 1913 – Ravel dont la saison 2025 célèbre çà et là le cent cinquantième anniversaire de la naissance. À la tendresse délicate du Prélude s’enchaîne, sans crier gare, la Toccata en mi mineur qui clôt Le tombeau de Couperin (1917) ; quoique reconnaissant de ces deux bis, il faut avouer tout de même que la Toccata s’avère quelque peu malmenée sous ses doigts peut-être un rien nerveux.

Autre aîné qu’affectionna Boulez, Claude Debussy, fort présent lors des concerts de 2025 année Boulez. Après En blanc et noir lors de la soirée d’ouverture de l’événement [lire notre chronique du 6 janvier 2025], nous entendons les Nocturnes qui virent le jour entre deux siècles, pour ainsi dire. Le soin de la couleur et de la dynamique domine l’abord inspiré et sensible de Juraj Valčuha, avec des Nuages où les timbres se font mutuellement briller, dans une clarté salutaire. Le bonheur infléchi à Fêtes bénéficie d’un élan plus contrôlé qu’il n’y paraît. La sensualité du mouvement est magistralement servie par les musiciens de l’ONF, à leur meilleur. Seule réserve à ce beau moment, les voix féminines de Chœur de Radio France peinent quelque peu, jusqu’à plafonner dans Sirènes, par ailleurs exquisément articulé par l’orchestre.

BB