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Chroniques
Игрок | Le joueur
opéra de Sergueï Prokofiev
Sur un livret du compositeur lui-même, tiré du roman éponyme de Fiodor Dostoïevski, Le joueur de Prokofiev ne put connaître sa première en Russie. Elle eut lieu à La Monnaie de Bruxelles en 1929, dans une version française de Paul Spaak. C’est cette version rarissime que propose le Festival della Valle d’Itria, avec une distribution vocale ne comprenant toutefois aucun interprète francophone. On sait que certains chanteurs étrangers peuvent en remontrer à nombre de Français pour ce qui est de la qualité de la diction, mais ce n’est malheureusement pas le cas ce soir. Avec une prononciation se situant, selon les rôles, entre le plutôt exotique et le simplement correct, il nous est trop souvent nécessaire de jeter un œil aux surtitres (en italien et anglais) pour comprendre. C’est une habitude de s’aider des surtitres lorsque l’opéra russe est chanté en russe, mais on pouvait espérer changer cela en passant à la langue de Molière...
À cette faiblesse patente s’ajoute une certaine réserve quant au rôle extrêmement long et difficile d’Alexis, défendu par le ténor Sergueï Radchenko qui manque d’un peu d’ampleur dans la projection et dont les aigus ont tendance à se resserrer quand on en attend un supplément d’éclat. On l’entend tout de même en meilleure forme après l’entracte, en particulier dans son registre aigu, plus ferme [lire notre critique de L’ange de feu]. Sa qualité d’élocution est parmi les plus acceptables, tout comme celle de la basse Andrew Greenan dans le rôle du Général, à l’extrême grave un peu discret, toutefois, le chanteur cumulant avec le rôle du Directeur pendant le tableau de la salle de jeu [lire nos chroniques de Der Rosenkavalier, Arabella, Wozzeck, Die Schule der Frauen et Der Schatzgräber]. Pour compléter les principaux rôles, le Marquis de Paul Curievici est très sonore, à l’opposé du baryton Alexander Ilvakhin en Mr. Astley, au timbre agréable.
Côté féminin, le soprano Maritina Tampakopoulos compose une Pauline d’une forte présence, à l’instrument puissant et clair pour les syllabes séparées ; dommage alors qu’il n’en aille pas de même des mots complets [lire nos chroniques d’Aida et des Vêpres siciliennes]. La voix sombre du mezzo Xenia Chubunova (Blanche) est moins marquante que l’entrée en scène de Silvia Beltrami (Grand-Mère), au vibrato développé qui va bien avec ce personnage autoritaire, cravache à la main, voulant garder la liberté de dilapider toute sa fortune au jeu, argent sur lequel plusieurs protagonistes ont des vues.
Aux commandes des Orchestra e Coro del Teatro Petruzzelli de Bari, Jan Latham-Koenig produit une musique de belle qualité, très bien réglée rythmiquement pour cette partition souvent espiègle, ou qui, à d’autres moments, fait un clin d’œil à certaines grandes pages du répertoire russe. On entend beaucoup de virtuosité au piano, à la flûte, ainsi que du brillant chez les cuivres, sans que l’orchestre couvre le plateau ni rende la tâche difficile aux solistes.
David Pountney règle une mise en scène concentrée sur le jeu, au plus près des acteurs, une réalisation sans effet spectaculaire, mais très fluide et vivante. La scénographie de Leila Fteita reproduit une roulette géante, avec son centre au milieu du plateau, qui a des allures de fontaine sans eau. Des numéros et couleurs rouge et noire peints sur les cloisons entourent la scène. Celles-ci sont percées d’ouvertures qui permettent les entrées et sorties. On tourne aussi beaucoup autour de la fausse fontaine, et un miroir à quarante-cinq degrés enrichit le regard. Ce dispositif est en tout cas bienvenu pour apercevoir le dessus des deux tables de jeu au cours de la scène où Alexis fait sauter la banque, en misant sur la couleur rouge... qui sort vingt fois de suite ! Un beau spectacle, au bilan, ainsi qu’une musique magnifique, mais un rendez-vous sensiblement manqué pour servir l’œuvre dans sa version française.
IF