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Chroniques
Евгений Онегин | Eugène Onéguine
opéra de Piotr Tchaïkovski
Deux saisons après avoir invité la production de Tcherniakov venue du Bolchoï sous les ors du Palais Garnier [lire notre chronique du 8 septembre 2008], l'Opéra national de Paris redonne à la Bastille celle qui, étrennée en novembre 1995, fait depuis partie de son répertoire, due à Willy Decker. Ce faisant, nous quittons le néo-réalisme de la nouvelle scène russe pour retrouver une abstraction scénographique où les décors de Wolfgang Gussmann servent d'écrin à l'expression de la vérité intérieure des personnages, et renouons avec la modestie des moyens théâtraux demandée par Tchaïkovski pour la présentation de ces « scènes lyriques ».
Dans une volonté de clarification dramaturgique, la régie a placé l'entracte après le premier tableau du deuxième acte, au moment où la crise se noue et amorce la chute d'Onéguine. Le cadre de l'intrigue passe ainsi des couleurs ensoleillées du printemps, des espérances de l'amour et de l'été, de la retraite campagnarde aux gris du brouillard automnal de l'aurore d'un duel et aux noirs de la mélancolie et de l'hiver d'une soirée aristocratique. Cette lisibilité élémentaire donne une cohérence à l'argument que la composition en trois actes et sept tableaux rendrait moins évidente à un public toussoteux.
On a préparé une distribution attractive pour cette reprise. Ludovic Tézier fait ses premiers pas en Onéguine sur la scène de Bastille, après avoir endossé la redingote d'Eugène sur les planches du Capitole de Toulouse [lire notre chronique du 11 avril 2003]. Le costume gris perle et le pardessus blanc dont il est affublé à la campagne n'aide pas le baryton français à sortir de sa réserve. Il faut attendre la scène avec Tatiana, au troisième tableau, pour que le moelleux et l'assurance de la voix deviennent reconnaissables et fassent exister le personnage. Flatté par le frac sombre de la soirée chez Grémine, Ludovic Tézier délivre un aveu de mélancolie et de regrets avec une retenue et une élégance qui contrastent avec l'expressivité un peu brouillonne du Prince de Gleb Nikolski qui, malgré tout, emporte l'adhésion d'un public ravi par la pâte large d'une basse applaudie par les parterres d'Europe et d'Amérique.
Olga Guryakova revêt ici les robes et les rêves de Tatiana sept ans après le précédent essayage. La voix a mûri et s'est considérablement élargie. La fraîcheur émouvante que l'on avait applaudie s'est un peu diluée et l'incarnation de la fille Larina ne sait pas trouver les marques susceptibles de nous émouvoir autant qu'il est permis d'espérer. Sa sœur, Olga, incarnée par Alisa Kolosova, voix de mezzo ronde et bien caractérisée, fait une apparition estimable. Son amant, Lenski, est mis en valeur par Joseph Kaiser qui n'en est pas à son premier poète. Le timbre est riche d'harmoniques dont le ténor utilise le nuancier expressif. L'impact émotionnel de l'engagement dramatique devrait être plus important – avec une direction d'acteurs plus précise, par exemple. Nadine Denize campe une Madame Larina convaincante, même si la texture vocale n'est plus parfaite, et Nona Javakhidze une Filipievna crédible. Jean-Paul Fouchécourt (Triquet) donne une leçon de français au milieu de la fête russe.
Vassili Petrenko livre une lecture attentive aux couleurs de la partition et fait chanter les soli de violoncelle et de bois dans un lyrisme délicat. La mise en place de l'orchestre est d'une belle transparence et fait regretter un refus de la nervosité qui rend certains tutti un peu placides, négligeant la tension idiomatique de l'opéra dans ce frémissement de l'attente et de la mélancolie nostalgique.
GC