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Chroniques
Вишнёвый сад | La cerisaie
opéra de Philippe Fénelon
Passionné de littérature, comme en témoignent de nombreux opus qui trouvèrent leur inspiration à la fréquenter, c’est vers Anton Tchekhov (après Cervantès, Cortázar, Lenau, etc.) que le compositeur Philippe Fénelon a orienté, en 2008, son désir d’opéra. Un soir de ballet, ici-même (Palais Garnier), il fait la connaissance du critique russe, Alexeï Parine, également poète, traducteur et dramaturge du metteur en scène Dmitri Tcherniakov. Décision est rapidement prise de lui confier l’écriture du livret d’un prochain ouvrage lyrique : La cerisaie, d’après la dernière pièce de l’illustre Russe. Montée en collaboration avec le Bolchoï (Moscou), cette commande de l’Opéra national de Paris connaît désormais sa création scénique.
De prime abord, les choix particuliers de cette production signée Georges Lavaudant surprennent en ce qu’ils affligent un surlignage constant de l’intention dramatique à l’imposant décor et aux costumes appuyés de Jean-Pierre Vergier. Sans doute le malentendu vient-il de ce que l’on croit être venu voir La cerisaie de Tchekhov alors qu’il s’agit de celle de Fénelon. Aussi est-ce là qu’il convient d’aborder la chose avec précaution, voire méfiance (vis-à-vis de l’appréhension qu’on en a). Certes, à adopter la nostalgie comme procédé, la partition du Français pourrait bien avoir fait l’impasse sur l’humour de l’homme de théâtre ; mais encore, à élaguer la tendresse de la moquerie du texte original le librettiste n’est pas loin de cantonner l’argument à ses plus sombres résonnances ; enfin, à surenchérir le drame du paradis perdu, le metteur en scène enfonce le clou plus sûrement encore, éloignant définitivement toute légèreté de l’objet finalement livré. Et alors ? Aurait-il fallu que docilement le musicien s’employât à « illustrer » La cerisaie plutôt qu’à la recréer ? Nous ne le croyons pas et pensons exactement le contraire, précisément, car c’est en s’emparant de l’œuvre préalable qu’il avait à réaliser la sienne.
Et c’est en cette contradiction que le bât blesse.
Prouvant d’une relative imprégnation dans la musique russe, l’écriture de Fénelon aime à lui faire référence (si ce n’est révérence) – comme elle n’hésite pas, par ailleurs, à jouer les Viennoises ou à convoquer de fameux oiseaux rythmiques nés plus près d’ici. La musique convoque plus qu’à son tour une sorte d’habillage du théâtre sans pourtant lui laisser la liberté d’une « vacation » salutaire à sa dynamique propre. Il n’est pas à exclure qu’une certaine lourdeur musicale véhicule plus efficacement l’abord d’un grand mythe – le peplum de Salammbô, la mystique confuse de Faust, voire la rigueur antique des Rois [lire nos chroniques du 1er juin 2004 et du 25 mai 2007] –, mais la demi-teinte subtile de l’intime ne saurait s’accommoder d’un tel fatras de clins d’œil à la Russie, ou à une certaine idée courante de la Russie – la distance ainsi prise du sujet dans l’exploration de sa stéréotypie relève-t-elle, justement, de cette humour qui semble faire défaut à l’ouvrage ?... Tchekhov est sans « ping-pong », comme en suspension, et souvent ses personnages parlent l’un à côté de l’autre plutôt que l’un avec l’autre. Aussi est-il vraisemblable qu’il ne soit guère facile d’imposer un rythme à la réplique tchekhovienne, d’une spontanéité absolue (ce n’est pas le lieu d’interroger plus profondément la difficulté des comédiens eux-mêmes à s’y glisser – sauf à prétendre en développer théorie –, mais pensons-y tout de même).
Cependant, depuis qu’un autre compositeur sut inventer un « lieu sonore », si l’on veut, qui prit avantageusement en charge cet effet de spontanéité, la chose ne paraît pas impossible. Souvenez-vous, c’était en 1998, un peu plus au sud… De notre part, nulle intention préalable de comparer Trois sœurs de Péter Eötvös et La cerisaie de Fénelon. Pourtant, Fénelon lui-même nous y conduit à travers quelques-unes des solutions choisies. Ainsi retrouve-t-on ce soir – il est vrai que la pièce elle-même indique cette présence-là – un plateau serti entre orchestre de fosse et concertino en haut de scène. Mais encore le rôle de Charlotta, la gouvernante allemande, est-il chanté par une basse, comme celui de la nounou imaginé par le Hongrois – cela dit, le domestique Firs est servi par un mezzo-soprano ; aucune conclusion désobligeante à en tirer, donc, d’autant que de transferts travestisseurs d’un genre à l’autre l’opéra, dès ses premiers pas, ne manque pas (le fait que le jeune Gricha soit confié à un mezzo-soprano n’amène aucune question, par exemple). Enfin, la facture orchestrale du second acte joue elle aussi sur un sifflement, quoique moins directement assumé que celui de Trois sœurs. De même ne verra-t-on dans le respect de la langue russe originale qu’une inspiration partagée.
L’édifice – il s’agit bien de cela, un « édifice » – est de plomb. Non dépourvu de savoir-faire, de métier, c’est d’esprit qu’il manque cruellement. La dramaturgie ne prend pas, le livret s’avoue indigent ; surchargée, la musique broie dans une même centrifugeuse styles et procédés en grande indifférence, sur une mise en scène au marqueur. De la poésie en brodequins.
Outre d’un chœur soigneusement préparé, un orchestre en grande forme sous la direction expressive de Tito Ceccherini, la représentation bénéficie de prestations vocales satisfaisantes. Ainsi du Lopakhine avantageusement impacté d’Igor Golovatenko, de la chaleur du timbre de Marat Gali en Liona, mais encore de la couleur ronde d’Alexandra Kadurina en Gricha.
BB