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Chroniques
Œdipe
opéra de George Enescu
Bien que roumain d’origine, George Enescu a composé Œdipe en langue française, après vingt ans de gestation, pour l’Opéra de Paris qui le créa en 1936. Aujourd’hui, l’Opéra de Francfort a choisi de monter une version retouchée, en six tableaux au lieu de quatre actes, dont le livret original d’Edmond Fleg est traduit en allemand par Henry Arnold.
L’œuvre ébauchée en 1910 débute avec la naissance d’Œdipe et s’achève lorsque le héros devenu vieillard aveugle disparaît dans une grotte, après les passages célèbres du meurtre du père, de l’énigme de la Sphinge – la question est actualisée dans le livret, mais la réponse reste « L’Homme » – et du mariage avec la mère. Cette version créée pour Francfort et certainement pour le metteur en scène Hans Neuenfels (poète et cinéaste), désormais assimilé aux rats de Lohengrin [lire notre chronique du 14 août 2011 et notre critique du DVD] réduit le dénouement au tragique aveuglement, et occulte presque tout le quatrième acte par la compression de l’ouvrage en une heure et quarante minutes (sans entracte). Cela limiteles temps morts et garde un niveau élevé d’urgence et de violence, alors que la langue allemande appliquée au texte coupe sa poésie et accentue l’écriture contemporaine et universelle de l’opéra, mais le tout semble fait au détriment de la volonté originelle du compositeur et de son librettiste. Quand il est à présent d’usage de jouer Richard Strauss sans aucune coupure (ni Petrenko ni Thielemann ne coupe les dix minutes de Die Frau ohne Schatten dont s’étaient tout de suite débarrassés Böhm et Krauss, par exemple), celles de ce soir, qui plus est concernant un ouvrage encore rarement joué, paraîtront peu légitimes.
Cependant, le principal problème vient directement de Neuenfels [voir trailer], des décors de Rifail Ajdarpasic et des costumes d’Elina Schnizler car, comme celle réunie par Dieter Dorn pour le Ring genevois [lire nos chroniques du 9 mars et du 16 novembre 2013], cette équipe propose une production à la modernité datée. Les tons gris-sombres de l’ensemble, fait d’un assemblage de panneaux sur lesquels sont inscrites des formules de chimie, et le choix des costumes mariant sans raison belles robes et déguisements punks, avec un berger (Michael McCown) habillé en mouton (sorte de Yeti de comédie musicale), ont bien vieilli à l’heure où Bieito, Kosky et Warlikowski transcendent les œuvres sans ridicule.
L’œuf où naît Œdipe au début met en valeur le beau traitement des lumières par Olaf Winter mais ne développe pas plus de réflexion que tout le travail autour d’un Œdipe chercheur en chimie. Laïos pissant sur Œdipe d’un chibre bien visible est une provocation vite annulée quand le héros abat ses assaillants d’un gourdin, comme le ferait Tarzan. Sur la Sphinge, retour de ce parallèle phallique en squelette de main humaine, en guise de sexe ; il n’ajoute rien à la dramaturgie ni à la compréhension. Seul Tirésias – très beau chant de Magnus Baldvinsson [lire notre chronique du 25 janvier 2013] –, transporté dans une petite cage roulante qui entrave chacune de ses apparitions, bénéficie d’un traitement intéressant, et également la Sphinge dont la folie, parfaitement apprivoisée par la jeune Katharina Magiera, donne un poids à la créature.
Parfaitement homogène et principalement issue de la troupe « maison », le reste de la distribution fait ressortir la belle voix de Simon Neal en Œdipe [lire notre chronique du 27 avril 2013], duquel on regrettera une interprétation amoindrie par l’appropriation relative de son rôle de héros. Tanja Ariane Baumgartner [lire notre chronique du 4 août 2010] tient parfaitement celui de Jocaste, tout comme Britta Stallmeister (Antigone) et Jenny Carlstedt (Merope). Le Créon de Dietrich Volle est efficace, à défaut d’être totalement convaincant, et le Prêtre de Vuyani Mlinde quelque peu hors sujet. Ressortent de tout cela les beaux graves de Kihwan Sim (Phorbas).
Le manque de mise en place de l’Ouverture fait craindre le pire du beau Frankfurter Opern und Museumsorchester par Alexander Liebreich, mais ce chef se rattrape ensuite et maintient le flux et la rythmique pendant les six tableaux, accompagné par l’excellent Chor und Extrachor der Oper Frankfurt très bien préparé par Matthias Köhler. Il faut rendre hommage à la direction de l’opéra de monter une œuvre rare, par-delà le fait de parier sur une version aussi courte, et saluer la prestation globale qui révèle une troupe et un orchestre d’un niveau très satisfaisant.
VG